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que la Ligurie se trouvait frappée de quelque fléau de la nature ou des hommes, l’évêque accourait près du roi-patrice, et ne revenait jamais les mains vides de grâces ou d’argent. « Odoacre honora tellement ce grand homme, nous dit le disciple d’Épiphane, Ennodius, qu’il dépassa en bons procédés pour lui tout ce qu’avaient fait ses prédécesseurs. » Les ménagemens d’Odoacre pour le clergé italien ne l’empêchèrent pourtant pas de maintenir soigneusement vis-à-vis de lui les prérogatives de la souveraineté, et de les revendiquer au besoin quand il les trouvait lésées. Il en donna la preuve, en 483, dans ses rapports avec l’église de Rome.

Cet homme extraordinaire, devenu maître absolu de l’Italie, fit succéder aux violences de son début une administration habile et modérée. Obéissant au conseil de Zenon, il se rapprocha des habitudes romaines ; il prit l’habit de patrice en même temps qu’il en porta le titre. Patrice vis-à-vis de l’Italie, il restait roi vis-à-vis des Barbares, qui lui avaient décerné le commandement suprême. En retour de l’appui que lui avait prêté le sénat pour déjouer les espérances de Népos, il respecta son autorité ; l’action de la vénérable assemblée sembla même grandir en l’absence d’un empereur. Les rouages administratifs continuèrent à fonctionner, les lois restèrent debout, les habitudes séculaires ne furent point froissées ; enfin le vieil attirail des césars environna le roi-patrice sous les lambris du palais de Ravenne. Odoacre eut un préfet du prétoire, un maître des milices, des comtes des largesses et du domaine, un questeur pour préparer ses lois ou les rapporter au sénat, un conseil privé pour les discuter, un corps des domestiques pour sa garde personnelle. Des recteurs administrèrent, comme ses lieutenans, les provinces italiques ; des ducs militaires, les cantonnemens des troupes ; des consuls tantôt agréés par l’empereur d’Orient, tantôt particuliers à l’Occident, donnèrent leur nom à l’année. L’aristocratie italienne, acceptant la fiction sur laquelle Odoacre fondait son pouvoir, ne dédaigna point de le servir. On vit figurer sur les listes consulaires les noms de Symmaque, de Boëce, d’Anicius Faustus, d’un autre membre de la famille Anicia, Probinus, et de Basilius, un des personnages les plus honorés de ce temps. Cassiodore, père de celui qui fut ministre de Théodoric, remplit près d’Odoacre les charges de comte du domaine et de comte des largesses ; Basilius, devenu patrice, fut préfet du prétoire et lieutenant du roi dans la ville de Rome ; le comte Pierius, commandant de ses gardes. Tous ces hommes étaient illustres et considérés ; mais Odoacre leur adjoignit parfois des collègues qui durent les faire rougir. L’improbité des magistrats fut le grand vice de cette administration, sortie d’une guerre civile. Un certain Pélagius, quelque temps préfet du prétoire, et à ce titre chargé de la perception