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Dans cette missive inattendue, le sénat reconnut aisément la main d’Odoacre. Peu soucieux de s’attirer la colère du roi des nations, en résistant à son désir, il ne l’était guère plus de voir Népos réintégré, assouvissant ses rancunes contre les sénateurs, et leur faisant payer un à un tous ses déboires passés. Il obéit donc à la sommation d’Augustule. Une députation fut prise dans le sénat pour aller porter à Zenon le prétendu vœu de l’Italie, et lui en développer verbalement les raisons. Le message disait, comme l’avait voulu le fils d’Oreste, « qu’un empereur particulier suffisait seul à l’administration et à la défense des deux parties de l’empire, que le sénat de Rome avait désigné, pour veiller à la sûreté de l’Occident, Odoacre, homme non moins distingué dans la science du gouvernement que dans celle des armes, enfin que l’assemblée priait Zenon de conférer à ce roi la dignité de patrice, ainsi que l’administration de l’Italie. » Tout ayant été réglé de cette façon, Odoacre écrivit lui-même à l’empereur pour lui demander le titre de patrice, comme s’il ne l’avait pas déjà reçu de Népos ; et comme si encore la question du rétablissement de l’empire, qui devait se discuter à Constantinople, eût été déjà résolue négativement par le fait, il joignit à sa lettre un paquet contenant les ornemens impériaux[1], dont il faisait remise à l’empereur d’Orient, désormais seul et unique empereur. L’officier chargé de la lettre et du paquet se mit en route en même temps que les députés du sénat. Odoacre avait fait ramasser, soit à Ravenne, soit à Rome, tout ce qui restait de manteaux de pourpre et de diadèmes ayant appartenu aux césars, et la défroque d’Auguste, de Trajan, de Théodose, réunie à celle d’Augustule, alla décorer quelque cabinet de curiosités dans le palais de Constantinople.

Les deux ambassades arrivèrent ensemble auprès de Zenon, où elles trouvèrent un envoyé de Népos déjà installé et chargé probablement d’observer leurs démarches. Zenon les reçut en audiences séparées, avec un accueil fort différent, caressant et affectueux pour le messager d’Odoacre, dur jusqu’à l’excès pour les sénateurs. À ceux-ci, il reprocha amèrement l’antagonisme du sénat de Rome, son opposition à tous les désirs de l’Orient : il rappela Anthémius et Népos. « L’Orient, disait-il, vous avait donné deux empereurs ; vous avez tué l’un et chassé l’autre. Si maintenant vous me demandez ce que vous avez à faire, la chose est claire, et n’exige pas de longues explications ; votre empereur Népos est vivant, recevez-le comme vous le devez. » A l’envoyé d’Odoacre, il fit de grands éloges du roi. « Népos avait bien fait, disait-il, de lui envoyer la dignité de patrice, qu’il méritait si bien, et lui, Zenon, la lui offrirait volontiers,

  1. « Omnia ornamenta palatii, Odoacrus Constantinopolim transmisit. » — Anonym. Vales., ap. Amm., p. 431. — Voies., R. Franc., p. 231. — Tillem., Hist. des Emp., VI, p. 440.