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n’était pas sans inquiétude. En effet, le neveu de Léon, moins philosophe qu’Augustule et poursuivi de regrets cuisans, s’était hâté d’envoyer à Zenon un de ses affidés pour le féliciter de son retour et traiter aussi du sien. « Nous avons offert l’un et l’autre, lui faisait-il dire, un exemple pareil de la mobilité des choses humaines, tous deux victimes des inconstances de la fortune et de la perversité des hommes. Tends-moi donc la main, toi qui as obtenu justice du sort, et fais que ton bonheur ne soit pas perdu pour moi. » Chaudement appuyé par l’impératrice Vérine, veuve de Léon, il demandait de l’argent, des soldats, l’envoi d’une nouvelle flotte en Occident : l’affaire fut accueillie favorablement dans le conseil impérial de Byzance, où l’on croyait l’honneur romain engagé à la réintégration de Népos. Celui-ci d’ailleurs ne doutait pas du succès. Odoacre fut naturellement l’objet de beaucoup de conjectures : quel était cet homme ? que voulait-il ? que ferait-il ? On regarda comme une circonstance heureuse qu’il n’eût pas nommé d’empereur en remplacement d’Augustule, et l’on compta sur lui pour agir près du sénat. Népos, afin de l’attirer tout d’abord dans ses intérêts, imagina de lui envoyer le titre de patrice avec force louanges et promesses de toute sorte. Le roi des Ostrogoths, Théodoric, qui eut vent de ces négociations, offrit de réinstaller à ses risques et périls, avec ses seuls Ostrogoths, l’empereur déchu sur le trône de Rome : Zenon n’accepta point, soit qu’il se défiât de services si désintéressés, soit qu’il rougît d’imposer par de tels moyens un empereur à l’Italie.

Odoacre contre-mina ces projets avec une astuce de Barbare qui valait bien la fourberie proverbiale des Grecs. Il voulut avant tout se couvrir de l’autorité du sénat de Rome, en le faisant intervenir entre Zenon et lui ; mais comme la vénérable assemblée était aussi par trop sous sa main, et qu’on n’eût pas manqué de crier à la violence s’il avait lui-même provoqué cette intervention, il mit en avant son pensionnaire Augustule. Des trois empereurs vivans qui s’étaient assis quelques jours sur le trône occidental, un seul pouvait adresser au sénat des conseils, sinon des ordres : c’était Romulus Augustus, qui n’avait point été expulsé comme les autres, qu’aucune révolution civile n’avait condamné, et qui était censé avoir déposé volontairement la pourpre. Sur les instances d’Odoacre, il écrivit au sénat une lettre, dans laquelle il exposait son avis sur la circonstance présente avec un choix de termes et un ton général qui sentaient encore le commandement. Cet avis était que « l’Occident n’avait plus besoin d’un empereur particulier pour se gouverner, et que les choses, telles qu’elles existaient, se trouvaient arrangées pour le meilleur profit de l’Italie. Voilà ce que le sénat de Rome devait déclarer avec fermeté à l’empereur d’Orient. »