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et celui du port. Augustule attendait avec une mortelle anxiété le résultat de la journée ; en apprenant que la ville était prise, il détacha précipitamment son manteau de pourpre, le rejeta loin de lui, et essaya de se cacher[1]. Des soldats ruges le découvrirent dans la retraite où il s’était blotti. Amené devant son vainqueur, le pauvre enfant tremblait et pleurait. Odoacre eut pitié de son âge, il eut aussi pitié de sa beauté[2], disent les historiens ; il lui répugnait de verser le sang de ce jeune homme, dont il acclamait naguère, comme tant d’autres, les grâces enfantines sous le costume des césars. Non-seulement il ne lui fit aucun mal, mais il lui assigna une pension annuelle de six mille écus d’or pour aller vivre librement, avec ce qui restait de sa famille, dans le château de Lucullane, en Campanie. Le prêtre Pirménius, son gouverneur, s’échappa sous quelque déguisement, gagna le Norique, et se retira près de saint Séverin.

Ce château de Lucullanum, lieu d’exil d’Augustule, était situé sur les pentes du cap Misène, en face du golfe de Baïa, dont il dominait au loin la mer et les îles verdoyantes. Cette villa des plus riches Romains avait subi, depuis sa fondation, d’assez bizarres destinées, dont Augustule n’arrêta point le cours. Modestement bâtie par Marius et confisquée par Sylla, elle passa des mains des proscripteurs dans celles de Lucullus, qui épuisa pour l’embellir le produit des pillages de l’Asie. Elle devint, grâce à lui, le plus insolent exemple de ces défis jetés par l’opulence romaine à la nature pour la dompter et la transformer. Des palais de marbre, des temples, des statues, des thermes couronnés de frais ombrages et entourés d’eaux jaillissantes, s’étendirent de terrasse en terrasse le long de la montagne jusqu’à la mer. L’histoire nous entretient surtout des vastes piscines creusées sous le roc pour servir d’abri au poisson contre les ardeurs de la canicule, et qui faisaient dire orgueilleusement au maître de ces domaines. « Je n’ai rien à envier au dieu Neptune ! » Après la mort de Lucullus, les dépouilles d’autres provinces vinrent, sous d’autres possesseurs, entretenir la magnificence de ce beau lieu. Des maisons se groupèrent autour ; un village se forma, et dans la suite des temps, un château fut bâti pour défendre le village contre les incursions des pirates vandales. Telle fut la retraite assignée par Odoacre au jeune fils d’Oreste. Des trois empereurs d’Occident dépossédés et encore vivans, l’un évoque, l’autre prince de Dalmatie, le troisième banni dans les jardins de Lucullus, celui-ci fut le plus résigné et le plus heureux. S’il remit le pied une fois encore sur la scène des révolutions politiques,

  1. « Metu perterritus, sponte miserabilis, purpuram abjiciens… » Hist. Miscell., XV.
  2. « Cujus infantiae misertus, concessit ei sanguinem, et quia pulcher erat. » Anonym. Vales., p. 716.