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sol pour y trouver les immenses richesses que faisaient supposer aux Barbares les prodiges de sa charité. « Ces hommes grossiers, dit le contemporain que nous aimons à citer, cherchaient dans la terre les trésors du saint évêque, celui-ci les avait déposés dans le ciel. » Le feu prit aux deux églises, et la ville entière ressembla à un brasier ardent.

La perte des biens ne fut que le moindre des maux pour cette population infortunée. Chassée des maisons par l’incendie, errante de rue en rue, mais traquée à tous les carrefours, elle n’échappait au tranchant du glaive que pour tomber en captivité, et pourtant au milieu de tant d’inquiétudes et de souffrances on n’entendait retentir qu’un seul mot : « Où est l’évêque ? — Qu’est devenu Épiphane ? vit-il encore ? » se demandaient en fuyant ces malheureux tremblant pour leur vie, tant le salut de leur pasteur leur semblait préférable à tout le reste ! Épiphane n’avait point songé à fuir ; tandis qu’on saccageait sa maison, il courait à ce qu’il regardait comme le plus pressé, à la protection des enfans et des femmes qui ne pouvaient se défendre. Les Barbares effectivement faisaient main basse sur tout ce qu’il y avait à Pavie de jeunes filles riches et nobles pour les échanger ensuite contre de fortes rançons : ils les emmenaient dans leur camp, où elles étaient gardées à vue. Dans le nombre se trouvèrent la sœur cadette d’Épiphane, Honorata, qui sur ses conseils avait embrassé la vie religieuse, et une autre vierge consacrée, Luminosa, leur commune amie, femme distinguée par le savoir aussi bien que par la naissance. Autour d’elles se groupaient en nombre considérable des mères, des épouses, des filles, séparées de tout ce qu’elles aimaient, troupe gémissante dont les larmes servaient de risée aux vainqueurs. La nuit approchait. Épiphane craignit qu’une soldatesque ivre de sang et de vin ne se portât contre elles aux derniers outrages : il se rendit au camp, et par ses ardentes prières, par l’éloquence de ses discours, par l’autorité de son caractère, il obtint d’Odoacre la liberté des captives.

Fait prisonnier dès les premiers momens du sac, et livré peut-être par les siens, Oreste fut mis dans un des bateaux en station sur le Tessin, et conduit par le Pô à Plaisance. Le malheureux patrice ne trouva point grâce devant son protégé et son ancien soldat devenu son maître. L’intérêt barbare parlait plus haut en ce moment que la reconnaissance ou la pitié. Il fut bientôt mis à mort. Par un raffinement de cruauté, on choisit pour son supplice le 28 d’août, jour anniversaire de son entrée à Ravenne l’année précédente. Ainsi finit cet aventurier, dont le cœur valait mieux que la fortune. Grandi au milieu des Barbares et par leur moyen, le ministre d’Attila parut les avoir trahis dès qu’il cessa de les servir.