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passage d’une grande armée, et le lieu lui-même se nommait le Camp ruiné.

Cependant Augustule se fortifiait dans Ravenne, ou, pour mieux dire, Paulus, son oncle, à qui Oreste avait confié la garde d’une si chère tête, disposait tout pour empêcher l’accès de la ville. Les troupes italiennes en retraite sur Pavie avaient été reçues avec une faveur marquée par Épiphane et son clergé, et de ce côté aussi on se préparait à une défense vigoureuse. Pavie, encore appelée Ticinum, commençait à cette époque le rôle de métropole militaire de la Haute-Italie, qu’elle joua si brillamment sous les monarchies lombarde et franke. Le petit bourg qui du temps de Néron possédait à peine une enceinte était devenu successivement, par l’effet de son heureuse situation, une ville municipale et une forteresse très renommée. Située sur le Tessin, à trois milles de son embouchure dans le Pô, et au lieu où ce fleuve était régulièrement navigable, cette place commandait les deux routes importantes de Milan à Rome et de Ravenne aux Alpes gauloises. Deux formidables barrières, le Tessin et le Pô, en protégeaient les approches à l’ouest et au midi, mais rien ne la couvrait à l’est et au nord ; or c’était précisément par là que devait l’attaquer une armée qui venait des bords du Lambro. Odoacre en effet, si l’on en croit la tradition, établit son camp en face de la porte septentrionale, et ouvrit aussitôt les travaux d’un siège qui dura, dit-on, quarante jours.

L’armée d’Oreste, si bien traitée par l’évêque et le peuple de Pavie et contenue d’ailleurs par son chef, se conduisit d’abord vaillamment et honnêtement pour les assiégés ; mais à mesure que le siège se prolongea et que l’ennemi gagna du terrain, le découragement vint, et la cupidité rentra dans le cœur de ces hommes féroces. Ils payèrent le bon accueil de la ville par un sac en règle : ses défenseurs voulurent lui donner un avant-goût de ce que l’ennemi lui réservait. Un jour donc, sans provocation d’aucune sorte les rues se remplirent d’une multitude armée de glaives et de torches, et folle de fureur. « Ce n’était partout que deuil, nous dit par une réminiscence classique un témoin oculaire de ce premier pillage fait par des amis ; ce n’était partout qu’épouvante et spectacles de mort. » Tout habitant qui connaissait un soldat, qui l’avait logé sous son toit, qui lui avait fait du bien, le voyait accourir vers lui l’injure à la bouche et le fer au poing ; l’hôte enfonçait la porte de son hôte ou la brûlait et menaçait le maître de le tuer, s’il ne lui livrait son argent. Un second sac succéda au premier, quand la place eut été enlevée d’assaut, et les soldats d’Odoacre ravirent ce qu’avaient épargné ceux d’Oreste. C’est alors que fut pillée la maison d’Épiphane : tout y fut pris ou brisé ; on alla jusqu’à fouiller le