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le nom romain, mais à Ravenne, où elle aurait occasion de le venger. Chefs et soldats protestèrent qu’ils étaient prêts à le suivre.

Quant à Népos, il restait comme assoupi dans sa sécurité. Lorsque des bruits vagues vinrent exciter tout à coup son attention, il observa avec anxiété cette marche mystérieuse de son patrice, perdant en conjectures et en hésitation un temps précieux pour agir. Il eût pu dès le principe appeler à lui les corps disséminés en Ligurie et se fortifier dans Ravenne : bientôt il fut trop tard ; le passage se trouva fermé par l’approche des colonnes ennemies, et la mer seule lui resta. Dans cette conjoncture, il fit appareiller un des navires du port pour s’y jeter à tout événement. Aucun effort ne fut tenté pour défendre la ville, et au moment où l’avant-garde d’Oreste attaquait la longue et étroite chaussée coupée de ponts qui reliait Ravenne à la terre ferme, Népos gagna le quartier de Classe et s’embarqua. Suivant toute vraisemblance, sa petite flotte dalmate prit le large avec lui. Ainsi le protégé de Léon regagnait Salone, qu’il avait quittée quatorze mois auparavant, si plein d’espérances déçues, et où Glycerius l’attendait. Les deux ennemis allaient se retrouver face à face dans une singulière parité de destin : tous deux empereurs d’Occident dépossédés et exilés, tous deux partageant l’administration de la Dalmatie, l’un comme prince, l’autre comme évêque. Jamais les dérisions de la fortune n’avaient été à la fois plus burlesques et plus amères.

Oreste fit son entrée à Ravenne le 28 mars de l’année 475, et, contre toute attente, il ne s’installa point, du moins comme empereur, dans le palais resté vacant ; il ne prit point la pourpre, et si les soldats la lui offrirent, il la refusa. Ce n’était pas là son jeu. Soit qu’il affectât de suivre en tout la tradition des patrices barbares, plus confiant dans leur stabilité que dans celle des césars, soit qu’il craignît de payer trop cher ses complices, s’il acceptait la souveraineté pour lui-même, il déclara n’en point vouloir, et son refus rejeta l’Occident dans l’embarras des interrègnes. Celui-ci dura deux mois, pendant lesquels Oreste fut censé chercher un candidat qu’il ne trouvait pas, et pendant lesquels aussi, comme on le pense bien, aucun ne vint s’offrir à son choix. Le sénat, les villes, l’armée, se montraient impatiens d’en finir, quand un coup de théâtre leva soudainement les incertitudes.

J’ai dit plus haut qu’Oreste, venu en Italie après la mort d’Attila, y avait amené sa famille, composée de son père ou de son beau-père, le comte Romulus, de sa femme jeune encore, et d’un frère nommé Paulus, qui s’était attaché à sa fortune. Depuis leur établissement au midi des Alpes, la fille du comte Romulus lui avait donné un fils qui pouvait avoir alors treize ou quatorze ans, et portait le nom