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Sans se compromettre par de vaines paroles, il aidait la désaffection à se glisser peu à peu parmi les soldats. La présence des auxiliaires grecs dans les troupes de Népos pendant la dernière guerre était une arme à deux tranchans, redoutable dans la main des provocateurs de désordre, qui sans doute ne la laissaient pas reposer. À ceux qui avaient fidèlement soutenu Glycerius, ils pouvaient dire : « Vous avez été vaincus par des Grecs ; » aux soldats de Népos : « Vous avez marché à la suite d’un Grec. » Ce fait, présenté comme une injure, offensait ces esprits grossiers, et la vanité barbare prenait parti pour l’orgueil italien. L’ordre, reçu tout à coup, d’aller en Gaule remettre la cité d’Auvergne aux Visigoths réveilla en outre dans ce ramas d’étrangers des idées qu’il eût été plus prudent de ne point exciter. Qu’iraient-il faire au-delà des Alpes ? Assister au partage de l’un des territoires les plus fertiles de l’Occident, le livrer à des Barbares, et comprimer au besoin la résistance des provinciaux dépossédés ! Lorsque Rome traitait si généreusement ses ennemis, pourquoi ses défenseurs étaient-ils réduits à une maigre paye pour prix de leur sang ? Le temps des auxiliaires ne viendrait-il pas aussi ? Les soldats de Rome ne demandaient qu’à être traités comme les Visigoths ! Des pensées de ce genre s’agitaient dans beaucoup de têtes, et, sans les approuver ni les combattre, ou, pour mieux dire, en les combattant mollement, Oreste laissa se développer ce terrible ferment qui devait tout emporter. Ainsi se noua entre le compagnon d’Attila et les anciennes bandes du roi des Huns on ne sait quel contrat bizarre, un accord tacite, un complot sans engagement mutuel, mais qu’une des parties put invoquer après le succès.

Si Népos, instruit de ce qui se passait, crut porter remède à ces manœuvres en éloignant Oreste avec une partie de son armée, il se trompait étrangement sur la gravité du mal, et ne connaissait guère l’homme à qui il avait affaire, car, après avoir résolu l’éloignement des troupes, il ne prit aucune mesure pour l’assurer ; aucune ne fut prise non plus pour garantir Ravenne contre une attaque possible. L’armée d’expédition partit de Rome, au commencement de mars, par la voie militaire qui conduisait en Gaule à travers l’Étrurie, et, se bifurquant à Forum-Livii, aujourd’hui Forli, se dirigeait de là sur l’Adriatique : c’était à la fois la route de Milan et celle de Ravenne. Elle marchait silencieusement à grandes journées, irritée au fond, mais ne dénotant par aucun de ses actes un état actuel de révolte : aussi la surprise de Népos fut complète. Selon toute apparence, c’est à Forum-Livii qu’Oreste, maître de la route de Ravenne et tenant l’empereur sous sa main, leva le masque et déclara à sa troupe qu’il ne la menait pas hors de l’Italie déshonorer