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forêts au point de vue climatologique, ni le revenu pécuniaire qu’elles procurent, ne suffisent pour garantir leur conservation en tant qu’elles resteront propriétés privées. C’est donc exclusivement à l’état, comme représentant l’ensemble des intérêts sociaux, que doit être réservée la possession des massifs boisés qu’il est nécessaire de conserver. Comme être moral et impérissable, il doit tenir compte des exigences de l’avenir aussi bien que des nécessités du présent, et sa responsabilité, qui s’étend aux générations futures, lui fait un devoir de leur transmettre intactes des richesses dont nous ne sommes que les usufruitiers. Cette conséquence, que Charles Comte avait tirée d’une manière un peu vague, il est vrai, du principe même de la propriété, un savant économiste allemand, M. Guillaume Roscher, que M. Wolowski vient de faire connaître à la France[1], l’a déduite de la comparaison des différens systèmes de culture. M. Léonce de Lavergne enfin lui a donné, dans la Revue même, la sanction de son autorité[2]. L’assemblée nationale s’était parfaitement rendu compte du peu d’aptitude des particuliers à être propriétaires de forêts, puisque, par la loi du 23 août 1790, elle déclara inaliénables celles de l’état[3]. Il n’y a pas jusqu’aux Américains, le peuple du monde le plus réfractaire à l’intervention gouvernementale, qui, pour protéger la propriété forestière, n’aient été obligés d’y avoir recours. Dès 1837, les hommes d’état du Massachusetts, alarmés du progrès des déboisemens et des conséquences qu’ils prévoyaient, chargèrent une commission d’étudier les moyens de conserver et d’augmenter l’étendue du sol forestier. Voici comment s’exprime. M. Emerson, le rapporteur : « Les forêts, dans leur ensemble, ne doivent pas être traitées, du moins d’une manière profitable pour le pays, par des individus agissant isolément, sans lien entre eux, sans règle, sans principe ; la conservation et l’amélioration des forêts ne peuvent être réalisées que d’après un aménagement

  1. Par la traduction des Principes d’Économie politique de G. Roscher, 2 vol., Guillaumin.
  2. « On attribue généralement aux économistes des théories contraires à la propriété des forêts par l’état. Je proteste, pour mon compte personnel, contre cette imputation. Le principe fondamental de la science économique n’est-il pas que toute espèce de propriété revienne à qui en tire le meilleur parti ?… » Voyez la Revue du 1er décembre 1855, les Essences forestières à l’Exposition universelle, par M. Léonce de Lavergne.
  3. Le préambule de cette loi, très énergiquement formulé, ne laisse aucun doute sur les motifs qui l’ont provoquée : « L’assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités réunis des domaines, de la marine et des finances, de l’aliénation des biens nationaux, du commerce et de l’agriculture, considérant que la conservation des bois et forêts est un des objets les plus importans et les plus essentiels aux besoins et à la sûreté du royaume, et que la nation seule, par un nouveau régime et une administration sage et éclairée, peut s’occuper de leur conservation, amélioration et repeuplement, pour en former en même temps une source de revenus publics, a décrété, etc. »