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soumises à tous les hasards de la spéculation, sont impuissantes à procurer, car l’approvisionnement constant des marchés en matières ligneuses ne saurait en aucune façon se concilier avec les vicissitudes si diverses de la propriété privée.

Si la liberté est la condition première de la prospérité de l’agriculture, la stabilité est indispensable à l’existence même des forêts. La facilité avec laquelle elles se dénaturent, la difficulté de les reconstituer, le temps qu’elles exigent pour donner des produits, en font une propriété d’une nature toute spéciale. La superficie qu’elles couvrent fait partie intégrante de leur constitution ; une fois qu’elle est enlevée, la forêt elle-même n’existe plus, et c’est pour ce motif que la société du Crédit foncier a limité au tiers de leur valeur le maximum des avances qu’elle fait sur les propriétés boisées, tandis que pour les autres elles peuvent atteindre la moitié. Les spéculations, les partages sont pour elles une cause inévitable de ruine. Une forêt divisée entre plusieurs héritiers est une forêt à peu près perdue ; chacun des morceaux qui, joint aux autres, formait un tout homogène est incapable, une fois isolé, de donner un revenu régulier, et le défrichement devient souvent le seul moyen d’en retirer quelque profit. C’est comme une machine dont les différentes pièces appartiendraient à des propriétaires différens : une fois qu’elles ne concourent plus ensemble à un même but, elles ne représentent plus que la valeur intrinsèque du métal dont elles sont faites. Si l’on réfléchit que trois générations à peine nous séparent de 89, et que jusqu’à cette époque les forêt particulières, restées presque toutes entre les mains des seigneurs, s’étaient, sous l’empire du droit d’aînesse, transmises de père en fils sans se démembrer, on ne peut méconnaître, en voyant leur état actuel, que nos institutions ne leur aient porté un coup fatal. La plupart d’entre elles en effet, exploitées à dix ou quinze ans, ne donnent plus aujourd’hui que des produits sans importance qui vont de jour en jour en diminuant. Aussi, si nous devons nous féliciter des entraves de toute nature dont la révolution nous a affranchis, avons-nous moins à nous applaudir de l’influence qu’elle a eue sur le domaine forestier. Quelques particuliers sans doute, mettant à profit la merveilleuse propriété qu’ont les forêts de prospérer sur les terres les plus réfractaires à toute autre culture, leur consacrent celles dont ils ne peuvent tirer un meilleur part, et consentent, dans l’intérêt de leurs descendans, à employer à des plantations un capital qui devra s’accroître spontanément par le seul effet de la végétation ; mais c’est évidemment là l’exception, et d’ailleurs la réalisation de ce capital accumulé est un appât auquel bien peu d’héritiers sont en mesure de résister.

Il résulte de tout ce qui précède que ni l’action bienfaisante des