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avec leur famille au milieu des bois ; les autres résident au village le plus voisin de leur triage. Outre les opérations forestières et les travaux divers auxquels ils sont tenus de concourir, ils ont à surveiller jour et nuit la forêt confiée à leur vigilance, et à y constater, sous leur responsabilité personnelle, les délits qui pourraient y être commis. Se rend-on bien compte du courage et du sang-froid nécessaires à de pareilles fonctions ? On admire avec raison la bravoure de nos soldats, on applaudit avec enthousiasme à leurs actes héroïques ; mais, sans chercher à en diminuer le mérite, on doit tenir compte de l’exaltation que produisent l’entraînement de l’exemple, l’amour-propre surexcité, l’odeur de la poudre, l’attrait même du danger. Rien de semblable pour le garde forestier : son courage à lui n’a rien de commun avec cette furia francese, souvent un peu théâtrale et parfois éphémère ; c’est au contraire un courage calme, froid et de tous les instans. Toujours seul, loin de toute habitation, le plus souvent même loin de toute route fréquentée, il n’a pour mobile que le sentiment de son devoir ; s’il y a lutte, il n’a pas de public pour l’applaudir, et s’il succombe, il n’a personne pour lui porter secours. Il faut avoir vécu au milieu de ces hommes modestes pour savoir ce dont ils sont capables, car leurs hauts faits à eux ne sont pas consignés dans les journaux, et à moins de circonstances vraiment exceptionnelles, aucune décoration ne vient les en récompenser. — Nous avons connu un brigadier forestier, mort aujourd’hui, qui surprit un jour, dans l’endroit le plus reculé du bois qu’il surveillait, un délinquant occupé à abattre un arbre. Avant qu’il eût eu le temps de faire aucun mouvement, cet homme s’était élancé sur lui, l’avait terrassé, et un genou sur la poitrine, la hache levée sur sa tête, il voulait exiger de lui la promesse de ne pas lui faire de procès-verbal pour le délit qu’il commettait, le menaçant de mort s’il refusait. « Si tu me tues, répondit le brigadier, je ne te ferai certainement pas de procès-verbal ; mais si tu ne me tues pas, tu en auras un. » Il ne fut pas tué, et le procès-verbal fut dressé ; mais le garde n’y mentionna pas même ce fait, qu’on ne connut que beaucoup plus tard, par l’indiscrétion même de l’auteur de cet attentat.

Nous avons vu, dans le département du Bas-Rhin, un garde qui, nommé il y a une vingtaine d’années à un poste où quatre de ses prédécesseurs avaient été successivement assassinés dans l’exercice de leurs fonctions, parvint seul, par son énergie et son exemple, à déraciner complètement les habitudes de pillage autrefois invétérées dans sa commune, et à transformer entièrement le genre de vie de ses habitans : de maraudeurs ils se firent cultivateurs, et s’en trouvèrent si bien que le nombre des délits constatés, de 800 qu’il avait