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contribué à l’amollir. La faute en est à ces imitateurs sans force et sans génie qui ont dédaigné les œuvres latines où le poète a enfermé tant de viriles pensées. Ne voulant connaître de ses écrits que les chants d’amour, ils ont rivalisé entre eux d’enfantillages, et ce sera donner leur mesure que de signaler un ouvrage d’un certain Louis Gandini, publié en 1580, sur l’importante question de savoir pourquoi Pétrarque avait gardé le silence sur le nez de Laure. Quoique M. Marchetti n’ait pas assez insisté sur le tort des imitateurs, il fait d’excellentes réflexions. Si j’essaie de traduire, ce ne sera pas sans protester à l’avance contre tout jugement hostile à un poète remarquable surtout par ces charmes du style qui ne sauraient complètement passer dans une autre langue. Il faut se souvenir en outre qu’une pensée unique suffit à un poème de si peu d’étendue; la développer en vers harmonieux, c’est la poétique du genre.


« Verte et solitaire colline, délices du poète toscan, dont il fit choix pour l’éternel repos de sa dépouille mortelle, dis, au nom du bonheur que tu as eu de le voir traîner sa vieillesse à pas graves et lents parmi ces ombres suaves, alors que son visage couvert encore de la douceur qu’y répandit l’amour trahissait le sérieux et amer regret de la valeur italienne disparue, dis quelle partie de ce cloître ombragé couvre ce qui reste de notre gloire!

« Le voici, je le reconnais! Humble et respectueux, je me prosterne, ô précieux, illustre et saint tombeau, vers lequel dévotement s’achemine toute âme bien née qui aime à se prosterner et à rêver pensive, toute âme aimante qui n’espère pas trouver ici-bas de plus suaves soupirs. Je vois l’Amour affligé, je le vois qui regarde et montre ce marbre. Près de lui, la Poésie, la vraie, la chaste, l’immortelle fille du ciel, de sa main voile ses yeux en pleurs.

« Et l’Amour lui dit : C’est à moi vraiment, c’est à moi qu’il appartient de revenir ici dans le deuil et les larmes. Vois à quoi m’ont réduit les tristes esprits auxquels la foule applaudit! Lubricité, tel est aujourd’hui le sens de mon nom. Le monde sait pourtant comme celui-ci (Pétrarque) me fit gracieux entre toutes choses et me présenta plein de pudeur aux jeunes âmes en ton aimable compagnie. Dans un si noble cœur, l’amour n’eut que d’honnêtes désirs et de hautes pensées.

« Hélas! répond la Poésie, ce n’est pas sans motifs que je viens soupirer sur ces nobles cendres. Tu sais, Amour, à quel point les âmes les plus dédaigneuses et les plus sauvages se sont éprises de moi, lorsqu’il me revêtit avec tant de grâce d’une douceur céleste que les siècles ont admirée. Maintenant une femme vile, prenant mon nom, entraîne les jeunes esprits par l’attrait de ses flatteuses vanités. Ma belle école est déserte. Dans ma retraite je suis seule et ignorée.

« O cendre sacrée, dis-je à mon tour avec la ferveur d’une âme émue, à antique demeure d’une haute vertu, avec quelle profonde reconnaissance tout Italien ne devrait-il pas s’incliner devant cette urne qui contient tes restes ! Un ardent et magnanime amour pour notre pays fut l’unique guide