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élémens nutritifs dont elle a besoin. Dans le Morvan, partie qui comprend le bassin supérieur de l’Yonne et de ses affluens, les bois, constituent la culture principale, les autres ne sont qu’accessoires. En général peu fertile, le sol n’y donne quelques produits que par suite du grand nombre d’animaux de service entretenus pour le transport des bois. Il n’existe en quelque sorte pas une seule exploitation rurale qui n’ait été créée en vue des travaux divers qu’exigent les forêts.

De tous côtés se montre l’action des forêts dans l’élaboration des produits agricoles : ici, c’est le fruit du hêtre, la faîne, dont l’huile si estimée devient, dans les années de semence, une source de bien-être pour les populations riveraines ; là, c’est le gland, qui offre aux porcs l’aliment qu’ils préfèrent et qui les engraisse ; ailleurs enfin, c’est le pâturage, qui, exercé avec sagesse dans les parties où les arbres sont assez âgés pour n’avoir plus rien à redouter de la dent du bétail, peut donner de très grands bénéfices. Enfin ce qui doit unir plus étroitement les forêts à l’agriculture, c’est le travail même qu’elles procurent aux populations rurales, ce sont les industries de toute nature qu’elles provoquent, et qui dans nombre de pays ont donné naissance à des communes quelquefois très importantes[1].

Les travaux dans les forêts s’effectuent pendant l’hiver. Les bois coupés pendant cette saison sont d’une plus longue durée quand ils sont mis en œuvre, et ont une plus grande puissance calorifique quand ils sont employés au chauffage que s’ils avaient été abattus pendant que la végétation est en pleine activité. Les forêts offrent donc aux ouvriers des campagnes un travail assuré précisément au

  1. « Au milieu de ces forêts (celles de la France pendant le moyen âge) vivait une population sylvestre, livrée exclusivement aux industries qui naissent de l’exploitation des bois ; elle formait en certains lieux des corporations particulières : telles étaient celles des bons cousins des bois et des charbonniers. Pour être admis dans ces corporations, on était soumis à une sorte d’initiation. La Forêt-Noire, celles des Alpes et du Jura furent longtemps peuplées de ces initiés. Peut-être faut-il reconnaître dans ces communautés des descendans des dendrophores, dont les corporations existaient aussi bien dans l’Italie que dans la Gaule, et qui étaient chargés de transporter les pièces nécessaires pour les constructions, le bois à brûler, le charbon et les planches. En certains cantons, les charpentiers formaient ainsi des corporations qui habitaient au milieu des bois. Dans les Pyrénées, la race méprisée des cagots était, durant le moyen âge, presque exclusivement livrée à cette profession et occupait ça et là des hameaux aux environs des forêts… Cette population de charbonniers, de forgerons, de boisseliers, de verriers, de tourneurs, de sabotiers, de cendriers, de cercliers, de tuiliers et de potiers, a donné naissance à des villes et à des villages. Leurs demeures réunies en hameaux survécurent à la destruction des forêts au milieu desquelles elles avaient été élevées, et ces hameaux sont devenus graduellement des bourgs. » (A. Maury, Histoire des Forêts de la Gaule, p. 300 et suivantes.)