Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/931

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour l’humanité. Grâce aux forêts, l’homme trouva donc sa demeure prête et sa subsistance assurée. Elles l’ont précédé comme une avant-garde indispensable, car partout où elles n’ont pas pris pied, il n’a jamais pu lui-même se fixer d’une manière permanente. Les vastes déserts de l’Afrique, les steppes de l’Asie, les pampas de l’Amérique méridionale et les solitudes glacées des pôles, restés rebelles à la végétation forestière, ont également résisté jusqu’à ce jour à toute tentative d’habitation.

C’est aux forêts que l’homme dut tout d’abord demander ses moyens d’existence. Exposé seul, sans défense, aux intempéries des saisons comme aux attaques d’animaux plus forts et plus agiles que lui, il dut y chercher son premier abri, en tirer sa première arme. Ce sont elles qui, pendant la première période de l’humanité, pourvoient à tous ses besoins : elles lui fournissent du bois pour se chauffer, des fruits pour se nourrir, des vêtemens pour se couvrir, des armes pour se défendre ; mais quand, après avoir appris à domestiquer les animaux, il demanda au régime pastoral un bien-être que les hasards de la chasse ne pouvaient plus lui donner, elles durent peu à peu céder la place aux pâturages. Pendant cette seconde phase néanmoins, elles couvrent encore une si grande étendue de terrains que le bois qu’elles produisent suffit et au-delà à toutes les exigences d’une population peu dense : les provisions séculaires amassées par elles semblent inépuisables, et personne encore ne songe à les protéger.

Enfin la propriété se constitue ; mais dans l’origine les procédés de culture, encore rudimentaires et privés de ce qui fait leur puissance, le travail et le capital, exigent de vastes étendues pour de bien maigres récoltes. Les forêts sont considérées comme un obstacle au développement de l’agriculture, le défrichement est une charge, et un sol dénudé a plus de valeur que celui qui est couvert des plus magnifiques futaies. Attaquées par le fer et le feu, elles sont chassées des plaines habitées et reléguées dans les montagnes solitaires, où elles ne sont pas même toujours à l’abri des exigences de plus en plus grandes d’une population croissante. Les conséquences de cette brutale imprévoyance ne tardent pas à se faire sentir. La pénurie de bois et les misères sans fin qu’elle traîne à sa suite, à une époque où l’absence de routes rend tout transport impossible, fait comprendre enfin l’importance de la propriété forestière et provoque des règlemens destinés à la protéger contre la ruine qui la menace. Ces règlemens, dont nous retrouvons les traces dans la législation romaine aussi bien que dans les coutumes barbares, substituent enfin un système d’exploitation régulière à la jouissance sans frein qui jusqu’alors était la règle. Ces mesures conservatrices, prises tardivement et quand le mal était déjà irréparable, furent néanmoins