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formations beaucoup plus anciennes. Les chéiroptères ou chauves-souris, qui offrent un type fort inférieur à celui des autres carnassiers terrestres, manquent dans le premier étage des terrains" tertiaires, sont encore rares dans le second et le troisième, et ne se sont multipliés qu’à l’époque moderne. Les cétacés, dont la Bible place l’apparition au cinquième jour, sont absens du premier étage tertiaire, ne se montrent qu’avec l’étage parisien, et sont en progression croissante dans la faune actuelle.

Voilà donc la théorie des créations zoologiques croissantes tout à fait bouleversée. Sans doute les mammifères ont apparu bien après les reptiles et les poissons ; mais, à travers tant d’anomalies, on ne peut plus saisir cette progression simple et régulière qu’on avait dans le principe cru reconnaître. C’est qu’on cherchait à la création des lois différentes de celles auxquelles elle a été subordonnée. On se représentait la nature s’essayant d’abord par des formes élémentaires, et n’arrivant que par degrés à ces organismes complexes qui caractérisent les animaux d’un ordre élevé. Or l’échelle des êtres est une conception purement idéale : il est impossible d’établir, dans la série animale, des échelons réguliers qui permettent de s’élever du zoophyte à l’homme. Toutes les familles zoologiques, comme les familles végétales, se tiennent les unes aux autres par des liens multipliés. Telle famille qui, à ne considérer qu’une fonction ou un détail de son organisme, occupe un rang élevé redescend par un autre côté à un degré assez bas. Les affinités s’entrecroisent, et le naturaliste éprouve un véritable embarras pour établir une classification, car une famille donnée, un genre même, peut se placer, par des motifs divers, entre des familles fort différentes. Ce que nous appelons élévation dans l’échelle animale n’offre pas d’ailleurs une idée bien précise : il y a des animaux fort petits, dont la structure est déjà très compliquée, bien que fondamentalement différente de la nôtre, et l’homme lui-même, si supérieur à tout le règne animal par l’ensemble de ses fonctions physiologiques et de ses facultés, est cependant primé, sous certains rapports secondaires, par des êtres qui lui paraissent subordonnés.

Une autre raison que celle de la gradation des organismes paraît avoir présidé à l’apparition des plantes et des animaux : c’est la nécessité d’une adaptation parfaite de l’animal au milieu dans lequel il doit vivre. Ces changemens si frappans qui se sont opérés dans le règne organique ont été régis par ceux auxquels fut soumis le globe lui-même. Tant que les conditions indispensables à l’existence et à la reproduction de tel ou tel animal, de telle ou telle plante, ne se sont pas produites, l’animal, la plante, n’ont pu exister ; mais aussitôt que l’état de notre planète a permis à ces êtres ou à ces végétaux de rencontrer des conditions convenables,