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des deux pôles, là où de grands organismes ne sauraient subsister, règne encore une vie invisible à l’œil nu, et qui se dérobe sous un épais manteau de frimas. Dans le résidu de la fonte des glaces qui flottent en blocs arrondis au voisinage du cercle arctique, on a découvert plus de cinquante espèces de polygastriques siliceux et des coscinadisques dont les ovaires attestent, par leur couleur verte, qu’ils ont vécu et lutté avec succès contre les rigueurs d’un climat glacé. Non-seulement l’océan se teint parfois de couleurs qu’il doit à d’innombrables coquillages ou à des amas prodigieux de plantes répandus dans ses flots, mais aux endroits même où il paraît le plus transparent, il est encore rempli d’animaux de toute sorte. Le capitaine Scoresby a calculé qu’il ne faudrait pas moins de quatre-vingt mille personnes, travaillant sans relâche durant six mille ans, pour compter les êtres vivans que renferment deux railles cubiques d’eau de mer. La sonde a rencontré jusqu’à 500 mètres de profondeur une multitude d’espèces animales, des dimensions les plus petites, il est vrai. Les eaux marécageuses aussi bien que l’océan même cachent un nombre infini de vers aux formes les plus bizarres, et dans l’intérieur de la terre, dans les cavernes naturelles qu’il faut ouvrir à l’aide de la poudre, comme sur les plus hautes cimes des Alpes et des Andes, dans les sources thermales comme dans les neiges, on trouve des végétaux cryptogames ou des infusoires. Il n’y a pas jusqu’aux corps des animaux qui ne soient habités par une faune particulière. Que de vers intestinaux, d’entozoaires et de parasites ! Chaque espèce a les siens, et ces animaux microscopiques ont des organes générateurs, ils ont une structure particulière. On les a crus longtemps le résultat d’une génération spontanée provoquée par la mauvaise nourriture, le défaut d’aération ou toute autre cause d’insalubrité. Une étude plus attentive a démontré que les entozoaires, comme les parasites, se reproduisent d’après les mêmes lois qui régissent tout le règne organique. Chaque animal est donc comme un monde à part qui a sa faune et sa flore. Il y a des animalcules dans le sang de la grenouille et dans celui du saumon. Un célèbre physiologiste, Nordmann, a découvert que les humeurs de l’œil des poissons sont fréquemment remplies d’une espèce de vers armés de suçoirs, et que dans les ouïes de l’able existe un animalcule double, muni de deux têtes et de deux queues. Ce qui s’offre à nous comme une maladie de certaines plantes, de certains animaux, n’est que l’apparition d’un végétal parasite. Par exemple, la maladie meurtrière qui attaque le ver à soie, et qu’on connaît sous le nom de muscardine, est due au développement d’un petit cryptogame, le botrytis poradoxa.

L’air lui-même, qui paraît moins habité, fourmille d’une quantité de germes, transportés par les vents et soutenus par la vapeur