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d’épouse et de mère ; mais tout être créé doit suivre la voie que Dieu lui a tracée. Dieu m’a appelée pour servir les autres, pour me réjouir avec ceux qui se réjouissent, et pleurer avec ceux qui pleurent… Ma vie est trop courte et l’ouvrage de Dieu est trop grand pour que je puisse songer à me construire une maison dans ce monde. Je n’ai pas tourné une oreille sourde à vos paroles, Seth, car lorsque j’ai vu que votre amour m’avait été donné, j’ai pensé que ce pouvait être un dessein de la Providence pour changer la direction de ma vie, et j’ai exposé l’affaire devant le Seigneur ; mais lorsque j’ai essayé de fixer mon esprit sur notre mariage et notre vie commune, d’autres pensées me sont venues, et j’ai vu toujours se dérouler devant ma mémoire les temps où je priais près des malades et des mourans, les heures heureuses où je prêchais, où mon cœur était rempli d’amour, et où la parole m’était donnée abondamment, et lorsque j’ai ouvert ma Bible pour trouver une direction, je suis toujours tombée sur quelque parole qui m’indiquait clairement où se trouvait mon devoir. » Ainsi ce que les chrétiens appellent la grâce domine dans le cœur de Dinah. La grâce y triomphera-t-elle toujours de la nature, et Dinah est-elle vouée au célibat par sa vocation religieuse ? Elle le croit elle-même ; mais le caractère anglais s’oppose à ce triomphe exclusif de la grâce sur la nature, et sans doute M. Elliott ne le permettra pas.

Dinah Morris fait un parfait contraste avec la seconde nièce du fermier Poyser, Esther Sorrel, familièrement appelée Hetty. Hetty avait reçu de la nature un grand don, le don de la beauté, et de tous les genres de beauté le plus rare, celui où un charme insaisissable s’allie à l’exquise régularité des traits et à l’éclat de la santé. Tous les genres de beauté ont leurs admirateurs exclusifs et partiaux, mais nul ne résiste à celui-là. Lorsque ce charme existe, la magie est irrésistible, tous les cœurs sont vaincus. Supposez un de ces visages dont la grâce ne dégénère pas en gentillesse, dont la mobilité ne dégénère pas en vivacité, dont l’expression résulte de l’harmonie générale plutôt que des passions de l’âme, avec un regard long, calme et à l’occasion attendrissant comme celui des cerfs et des antilopes, et vous aurez à peu près, autant que j’ai pu me la représenter d’après les récits de l’auteur, le portrait d’Hetty. Il n’est pas rare que ces visages qui attirent la sympathie universelle recouvrent le plus parfait néant moral, et que toutes les promesses apparentes qu’ils font au contemplateur soient autant de leurres ; mais, même lorsqu’on connaît leur profonde sécheresse, il est vain de lutter contre la sympathie qu’inspirent ces créatures privilégiées. On s’irrite contre elles, on ne peut les maudire ; on jure de les éviter, on revient toujours vers elles, et tout le monde y est pris, les