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Il sonna du cor. À ce bruit clair et vibrant qui domina un instant les rumeurs confuses de la mêlée, les Albanais devinrent immobiles de surprise et devinèrent enfin avec terreur quel redoutable ennemi ils avaient à combattre, puis ils se précipitèrent en foule du côté de Botzaris et déchargèrent leurs carabines dans cette direction sans trop savoir ce qu’ils faisaient. Pendant que cette diversion s’opérait sur le champ de bataille, Kitzos Tsavellas et les autres répondaient à l’appel de leur chef, et descendaient à toutes jambes les pentes rapides du Kallidrome. Peu d’instans après, ils prenaient part au combat. Cependant Marc, voyant un flot d’ennemis se resserrer autour de lui, reprit sa course afin d’accomplir l’œuvre qu’il s’était imposée. Un coup de feu l’atteignit dans le ventre au moment où il se dirigeait vers une grande tente pavoisée qu’il croyait être celle du séraskier. Insensible à la douleur, il fit quelques pas encore ; mais bientôt, affaibli par la perte du sang qui coulait abondamment de sa blessure, il fut obligé de mettre un genou en terre pour se soutenir. « A moi, à moi, mes amis ! » s’écria-t-il. Il se sentait mortellement atteint, et ses forces l’abandonnaient. Le jour naissait ; en promenant ses regards autour de lui, Botzaris put voir ses invincibles soldats acharnés à la poursuite de l’ennemi, qui commençait à fuir. À cet instant, il fut rejoint par son frère Constantin, qui le cherchait partout depuis le commencement de l’action. Ce dernier, en le retrouvant dans ce déplorable état, s’efforça vainement de lui persuader de s’éloigner du champ de bataille. Marc refusa : il voulait jouir jusqu’à sa dernière heure du spectacle de son triomphe, et puis il espérait peut-être pouvoir prendre part encore au combat, car, plusieurs autres de ses compagnons étant survenus, sa blessure avait été pansée à la hâte, et son extrême faiblesse semblait se dissiper. Déjà même il rechargeait sa carabine, lorsqu’une seconde balle lui fracassa la tête. Il tomba pour ne plus se relever, à l’âge, de trente-cinq ans à peine. Ses soldats, ivres de vengeance et retrouvant des forces presque surnaturelles à la vue du cadavre méconnaissable de leur chef, taillèrent en pièces l’armée du séraskier, qui fut contraint de regagner les hauteurs de la Thessalie.

Les vainqueurs reprirent aussitôt le chemin de Missolonghi, oubliant leur triomphe et ne songeant qu’à l’irréparable perte qu’ils venaient de faire. Ils rapportèrent le corps de Botzaris étendu sur un brancard et couvert des drapeaux enlevés à l’ennemi. Par une singulière coïncidence, ce funèbre cortège fit halte à Silitza, et les Grecs déposèrent leur précieux fardeau dans le sanctuaire même où Marc avait prié quelques jours auparavant. Près de Missolonghi, ils rencontrèrent une multitude immense, accourue de tous les environs et même du Péloponèse. Sur le passage du convoi, la foule