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l’une contre l’autre, suivant la coutume de ces contrées, où l’usage des cloches n’est point admis. Il entra avec plusieurs de ses compagnons, et se mit en prière, comme ces chevaliers qui se préparaient autrefois au combat par la veille des armes. Les lampes, qui brûlent constamment dans les églises grecques aux pieds de la madone, jetaient de faibles lueurs sur les murailles grossièrement peintes du sanctuaire ; deux prêtres chantaient matines. Lorsqu’ils eurent fini, Marc s’avança vers l’un d’eux, lui donna quelques pièces d’or, et lui dit : « Voici pour les pauvres ; prie pour l’âme de Botzaris. — Serait-il mort, grand Dieu ? s’écria ce prêtre, qui ne le connaissait que par le bruit de ses exploits. — Non, répondit Botzaris ; il va mourir. »

Le romanesque fait d’armes de Karpénitzi a laissé en Grèce un profond souvenir. Nous avons eu l’occasion de l’entendre raconter par le général Kitzos Tsavellas, qui y prit part, et dont le nom se trouve dans plusieurs chants populaires relatifs à ce combat. Le général Tsavellas, mort il y a deux ans, était l’un des derniers représentans de l’héroïque tribu de Souli, et l’on reconnaissait aisément en lui le type particulier à cette antique race. D’une petite taille, d’une constitution robuste et nerveuse, l’œil bleu et perçant, la tête fièrement rejetée en arrière, les traits pleins de régularité, il avait dans l’ensemble de sa personne une certaine ressemblance avec les portraits qui nous avaient été faits de Botzaris. Du reste, les relations des historiens nationaux, comme celles des philhellènes, s’accordent toutes sur les épisodes de cette bataille, qui forme l’une des scènes les plus émouvantes des guerres de l’indépendance.

Le 18 au matin, Marc donna ses instructions pour l’attaque, qui fut fixée à la nuit suivante. Pendant le jour, Kitzos Tsavellas, le brave et fidèle Acarnanien Karaïskos, Zongos, Macris, passèrent du mont Plocapari dans les forêts du Kallidrome les uns après les autres et par de longs détours, afin de ne pas être aperçus de l’ennemi. Ils avaient ordre de s’échelonner sur le flanc des Turcs et de rester immobiles, quelque bruit qu’ils entendissent, jusqu’au signal que Botzaris devait leur donner en sonnant du cor. Botzaris ne garda auprès de lui que trois cents hommes. Son intention était de pénétrer dans le camp, de se porter droit à la tente du séraskier, et de l’immoler pendant que ses compagnons sèmeraient partout le désordre et l’épouvante. Appelant ensuite à son aide les chefs embusqués dans les bois environnans, il espérait venir facilement à bout d’une armée surprise et privée de son général. La nuit étant venue, il se mit en marche. Un instant d’hésitation se manifesta dans les rangs de sa petite troupe. « Vous êtes tous libres de rester, s’écria-t-il ; pour moi, je pars. » Et il ajouta cette belle parole, qui est restée célèbre et populaire en Grèce : « Si vous me perdez de vue dans