Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/864

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

franchirent le fossé d’enceinte à l’endroit le moins profond, appliquèrent leurs échelles contre la muraille, et huit cents hommes montèrent ensemble à l’assaut. À peine avaient-ils atteint le dernier échelon, que les soldats de Botzaris, cachés derrière les remparts, se dressèrent, firent feu et culbutèrent les assaillans. La nuit suivante, Omer-Brionès, honteux et découragé, s’enfuit avec une telle précipitation, que les vainqueurs, entrant le lendemain dans son camp abandonné, y trouvèrent dix canons, les équipages militaires, les insignes, et jusqu’aux vêtemens de parade des pachas. Deux Grecs seulement périrent dans cette affaire, qui coûta aux Turcs l’élite de leurs troupes. Plusieurs personnes nous ont affirmé ce fait, à peine croyable, mais dont nous trouvons une preuve dans une chanson improvisée à la suite de ce grand triomphe, et qu’on attribue à un brave du nom de Mikroulis, frère de l’une des deux victimes. Ce chant, qui nous a été dicté à Missolonghi même, est trop étendu pour être rapporté ici. En voici seulement quelques passages :


« Le noir Missolonghi arrête quatre pachas et les chefs de l’Albanie avec douze mille hommes.

« Les boulets tombent comme la pluie, les bombes comme la grêle, les balles comme le sable de la mer…

« Honorons le pays qui est la fleur de la Grèce, la gloire du monde, la clé de la Roumélie, la colonne de la Morée.

« Les Turcs jurent de faire le déluge dans Missolonghi le jour de Noël. Ils sont repoussés.

« Combien ont péri dans cet assaut ? qui peut les compter ? Deux pallikares seulement ont succombé : Nicolas Kalkouris et George Mikroulis.

« Ils sont morts pour la patrie ; réjouissez-vous. Ceux qui périssent pour la nation ne meurent pas, ils laissent un beau nom et s’en vont avec gloire… »


La présence d’esprit et la prompte décision de Botzaris avaient sauvé Missolonghi et la Grèce. L’un des bastions des fortifications actuelles de la ville porte son nom : modeste hommage rendu à cette glorieuse mémoire. Mavrocordato, qui s’était acquis d’incontestables droits à la reconnaissance de la patrie par sa fermeté durant tout le cours de cette expédition, retourna alors dans le Péloponèse, où les soins du gouvernement le rappelaient. Il laissa à Botzaris le brevet de général en chef de la Grèce occidentale. Une renommée comme celle de Botzaris aurait satisfait une ambition moins noble que la sienne, mais son rêve était d’attacher à son nom une de ces impérissables gloires dont l’antiquité lui offrait plus d’un exemple. Poursuivi, on le sait, par le fantôme héroïque de Léonidas, le jeune chef aspirait à trouver, comme lui, la mort au sein d’un triomphe salutaire à son pays. Vers le milieu de l’été de l’année 1823,