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le nombre, exténués par la famine et la fatigue, avaient capitulé[1]. Libres depuis plusieurs siècles au milieu de leurs compatriotes opprimés, ces précurseurs de l’indépendance grecque disparaissaient pour toujours du monde au moment même où la liberté allait s’étendre à toute leur nation. Souli tombé au pouvoir du séraskier, Mavrocordato ne pouvait plus songer à se maintenir en Épire. Il reprit le chemin de Missolonghi. Sa petite armée, diminuée d’un bon tiers par la dernière défaite, loin de se débander, s’efforça de tenir tête aux troupes victorieuses d’Omer-Brionès-Pacha, qui venait de remplacer Kourchid. Cette poignée de braves recula lentement, disputant le terrain pied à pied, se retournant contre l’ennemi dans toute position favorable, à Loutraki, à Machala, à Vrachori, à Vonitza, à Képhalovrysis ; elle fit preuve, durant toute cette longue et difficile retraite, d’un sang-froid et d’une force morale que la présence de Botzaris et des philhellènes contribuait puissamment à soutenir. Enfin, le 21 octobre, les Grecs, réduits à moins de cent hommes, poursuivis par onze mille Turcs, entrèrent à Missolonghi, dont le siège allait fournir à l’histoire de la Grèce moderne quelques-unes de ses plus belles pages, et à Botzaris son meilleur titre de gloire.

« Que je voudrais être oiseau, dit une chanson populaire, pour voler à Missolonghi, et voir comme on joue du sabre, comme on tire la carabine, comme ces invincibles vautours de Roumélie font la guerre !…

« De noirs ossemens vont s’amonceler autour de Missolonghi ; ils enfanteront des soldats, et les lions de Souli trouveront là leur joie[2]. »


IV

La petite ville de Missolonghi, dont le port ne peut guère abriter que des barques de pêcheurs, est située en face de Patras, sur la limite d’une plaine basse et marécageuse, que traversent l’Achéloüs

  1. Les uns passèrent de nouveau à Corfou, les autres obtinrent de se retirer à Missolonghi. Parmi ces derniers se trouvaient la femme, les enfans et le frère de Botzaris, qui, étant tombés entre les mains des Turcs après la chute d’Ali-Pacha, avaient été compris ensuite dans l’échange du harem de Kourchid, pris à Tripolitza. La terreur inspirée aux Turcs par le nom de Botzaris suffit à protéger sa femme contre les outrages dont elle aurait pu être victime lorsqu’elle passa au pouvoir de Kourchid. Ce dernier la traita avec les plus grands égards ; il aimait à lui parler du redoutable adversaire dont les hardis coups de main lui inspiraient une véritable admiration. Un jour, il eut la fantaisie de faire défiler ses troupes devant sa captive, et il lui demanda tout à coup si, parmi tant de soldats, il n’en était pas un qui eût quelque ressemblance avec Botzaris. Chryséis, surprise de cette question, lui désigna un Albanais dont la petite taille et la mine martiale offraient un peu d’analogie avec la tournure du polémarque de Souli. « Comment, s’écria Kourchid, qui était d’une stature gigantesque et de formes athlétiques, comment un si petit homme a-t-il pu causer tant de maux à mon armée ? »
  2. Recueil de M. Zampélios.