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seraient réhabilités par quelque grande action. Aussitôt les cinquante-trois capitulés se précipitèrent avec rage dans les campagnes de la Thesprotie, taillèrent en pièces plusieurs troupes qui se rendaient au camp de Rourchid, et reparurent à Souli après avoir lavé dans le sang de l’ennemi la tache faite à leur honneur.

L’intervention de Botzaris en faveur des soldats de Timolas prouve que le polémarque aurait voulu adoucir l’excessive ligueur des lois en usage chez les Souliotes. Il se révoltait surtout contre l’insouciance que ceux-ci professaient pour la vie humaine. Des champs de bataille sur lesquels s’écoulait la plus grande partie de l’existence de ces guerriers, le mépris de la mort avait passé dans leurs mœurs et dans leur dure législation, qui n’était écrite nulle part, mais qu’ils tenaient de leurs ancêtres par tradition. Il n’était guère de délit qui ne fût puni de mort, et la plupart du temps les Souliotes, négligeant de recourir à leurs démogérontes[1], se rendaient justice eux-mêmes. Un capitaine de Souli, traversant un jour la Parasouliotide, rencontre un troupeau de moutons, choisit le plus bel animal, le charge sur ses épaules, et s’éloigne sans autre formalité. Le propriétaire du troupeau accourt et réclame inutilement son bien ; une violente rixe s’engage, le berger assomme son adversaire d’un coup de massue. Les compagnons du capitaine surviennent à cet instant, et s’apprêtent à venger sur place la mort de leur chef. Cependant le meurtrier les supplie de le conduire devant Botzaris. Cette grâce lui est accordée. Le polémarque essaya vainement de persuader à ses compatriotes que cet homme avait agi légitimement en défendant sa personne et sa propriété. Ceux-ci lui répondirent que de mémoire de Souliote le meurtre d’un capitaine n’était resté impuni, et ils réclamèrent le châtiment immédiat du coupable. Marc réussit néanmoins à obtenir un sursis de quelques heures et à faire remettre l’exécution au lendemain. Le malheureux pâtre fut jeté en prison. Vers le milieu de la nuit, Botzaris, qui était décidé à le sauver, pénétra auprès de lui et lui remit une bourse bien garnie. « Voici le prix du mouton que tu as perdu, lui dit-il. Je ne te crois pas coupable, puisque tu défendais ta personne et ta vie. Tu es libre ; sauve-toi rapidement, car demain je serais forcé de lancer mes hommes à ta recherche. S’ils te retrouvent, je ne réponds plus de toi. » Et, pour plus de sûreté, il ordonna à son proto-pallikare (sorte d’aide-de-camp) d’accompagner le fugitif hors de la montagne.

  1. Composant le conseil des anciens.