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baigne de ses flots calmes et bleus ; au-delà, les montagnes de l’Acarnanie terminent l’horizon. Enfin, à l’est, on aperçoit, par-dessus les alpes verdoyantes des monts Djoumerca, les hauts sommets du Pinde, dont la masse imposante imprime à ce merveilleux tableau un cachet de grandeur et d’austère mélancolie.

Afin de donner à la guerre qui, selon toute apparence, ne tarderait pas à se concentrer autour de la Selléide un caractère de nationalité en même temps que des élémens nouveaux de succès, Botzaris s’empressa de traiter avec les chrétiens de la Thesprotie. Les Souliotes, renonçant enfin à leurs antiques préjugés de race et redoutant l’isolement qui avait causé leur ruine, consentirent à admettre dans leur confédération tous les Grecs des contrées environnantes, et à les traiter sur le pied d’une entière égalité. C’était la première fois que la montagne s’unissait aussi étroitement à la plaine, et la république de Souli, sortant des limites qu’une imprévoyante fierté lui avait autrefois imposées, s’étendit dès ce moment de Janina au canton de Loroux, voisin de la mer. Botzaris se trouva ainsi à la tête de trois mille cinq cents combattans.

Contraint, par la mauvaise foi d’Ismaël, à prendre les armes plus tôt qu’il n’aurait voulu, Marc songea tout d’abord à couper les communications entre le camp impérial et l’importante ville d’Arta, capitale de l’Amphilochie. Dans cette pensée, il s’empara du caravansérail fortifié qui commandait l’entrée du défilé des Cinq-Puits, à sept lieues sud-est de Janina. De ce poste avancé, il pouvait en outre donner la main aux klephtes belliqueux des monts Djoumerca, dont quelques-uns ne tardèrent pas à le rejoindre. Les échos de l’Épire retentirent alors pour la première fois du Δεΰτε, παίδες, τών Ελλήνων (allons, enfans des Hellènes), hymne patriotique et guerrier composé sur l’air de la Marseillaise, et introduit en Grèce par les Souliotes qui avaient servi sous les drapeaux de la France. Ce chant se propagea rapidement parmi les Grecs, et servit de prélude à quelques-unes de leurs plus belles victoires[1]. La perte du défilé des Cinq-Puits, jointe à celle de plusieurs caravanes remontant du golfe d’Ambracie et capturées par les Souliotes, jeta l’alarme dans le camp d’Ismaël. Les Turcs n’eurent rien de plus pressé que de choisir trente-six officiers qui durent réciter le premier chapitre du Koran quatre-vingt-douze fois par jour, et trente-six derviches qui fuient obligés de recevoir dans le même espace de temps quatre-vingt-douze coups de discipline de la main de leur supérieur. Cette première satisfaction donnée à la colère du prophète, trop clairement manifestée par les succès des chrétiens, cinq mille hommes d’infanterie

  1. Nous avons eu souvent l’occasion de l’entendre chanter par les orophylakes, troupes irrégulières préposées à la garde des montagnes.