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jamais entendu parler d’elle. César obtint de cette pauvre veuve qu’elle vînt chez lui avec son fils et qu’elle tînt son ménage de garçon. Hermance Fauberton était alors une femme d’environ trente-cinq ans, fluette, maladive, sans agrément ni beauté, vieillie par de longs chagrins et usée par une vie matériellement pénible. Elle avait d’ailleurs une tenue si modeste, des allures de vieille femme si prononcées que sa présence chez un homme encore jeune et qui passait, non sans raison, pour un séducteur, ne fit aucun tort à sa réputation.

Vers cette époque, César Fauberton fut nommé maire d’O,.., et bientôt après élu membre du conseil-général de son département. Ses visées auraient pu aller plus haut ; il avait assez d’influence pour se poser en homme politique et arriver à la députation , mais il préféra rester le personnage le plus important du petit monde où il vivait, et il déclara dans son discours d’installation que l’honneur d’être le premier magistrat municipal de sa ville natale suffisait à son ambition.

L’hôtel Fauberton , comme disaient emphatiquement les gens d’O,.., était situé au centre de la ville, sur une petite place dont il formait un des côtés. Cet édifice était dans l’origine une vaste maison carrée à deux étages, coiffée d’une toiture en tuiles rouges et proprement badigeonnée à la chaux. Le colonel, qui avait rapporté da ses campagnes d’Italie certaines idées sur les arts, entreprit d’embellir ce grand corps de logis, qui véritablement avait l’apparence d’un moulin à farine. Par ses ordres, la façade fut peinte en jaune, avec des encadremens qui simulaient diverses espèces de marbres ; il fit mettre des persiennes vertes à toutes les fenêtres et agrandir la porte d’entrée, dont les deux battans s’ouvrirent désormais toutes les fois qu’il sortait en voiture. Le vestibule était décoré de statues en plâtre ; la Diane chasseresse figurait au pied de l’escalier, et le palier du premier étage était gardé par un Ilercule colossal. Après la mort du colonel, son héritier compléta les changemens et fit venir de Paris un mobilier qui excita l’admiration universelle. Le grand salon était cité comme une merveille de richesse et d’élégance. Toute la ville d’O... savait que le lustre coûtait douze cents francs, et les douairières qui, les jours de bal, faisaient tapisserie pendant huit ou neuf heures consécutives, avaient cent fois calculé combien il avait fallu d’aunes de damas cramoisi pour faire les huit rideaux de fenêtres et recouvrir les vingt-quatre fauteuils alignés contre la muraille. La façade intérieure de la maison donnait sur un vaste jardin. Quand la grande porte était ouverte à deux battans, les passans s’arrêtaient pour contempler de loin ce lieu de délices où il y avait des bancs de gazon, des charmilles, des plates-bandes bordées de