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l’oncle césar. 791

filles de bonne maison, brouilla une demi-douzaine de ménages, et poussa par son infidélité une grisette au suicide. Toutefois ces désordres ne faisaient pas de scandale. On était très indulgent pour ce beau garçon, le meilleur parti de toute la contrée. Les demoiselles surtout qui faisaient leur roman de mariage excusèrent toutes ses légèretés et furent sans pitié pour les pauvres délaissées. Le notaire venait d’entamer sa dixième ou douzième négociation, lorsqu’un événement imprévu mit fin à ces tentatives obstinées : le colonel tomba malade, et bientôt il fut en danger de mort. C’était un vieillard déjà, quoiqu’il n’eût pas un grand âge ; à force de prodiguer sa vie sur les champs de bataille, il l'avait usée, et dès le premier jour de sa maladie il comprit que le terme fatal allait arriver pour lui. Ce jour-là même, après une crise qui l’avait beaucoup affaibli, il dit à son neveu : — César, nous avons perdu trop de temps ;... je risque de m’en aller sans t’avoir marié,... c’est un grand regret pour moi... Si tu venais à mourir aussi, mon bien irait à des gens que je ne connais pas — Je ne veux pas cela, mon neveu,... il faut que tu fasses souche... Marie-toi, marie-toi... A présent il ne s’agit plus de choisir, de calculer la dot, les espérances probables, les charges certaines, comme tu dis toujours ;... nous n’avons plus le temps d’attendre. .. Les demoiselles sages et bien élevées ne manquent pas ici... Prends celle que tu voudras : quand même elle n’aurait rien, je donne mon consentement ; mais, au nom du ciel, décide-toi...

— Oui, mon oncle, tout de suite, répondit César abasourdi.

— Eh bien ! choisis.

— Oui, mon oncle, à l'instant, puisque vous le voulez. Toutefois j’aurais besoin de réfléchir un peu, car je me trouve dans un grand embarras, mon cœur étant libre de toute inclination...

— Prends au hasard, interrompit le colonel d’un air presque impérieux ; rien n’empêche, puisque tu n’aimes personne... — Puis, se ravisant, il ajouta : — On m’avait dit que tu étais amoureux de la belle Emmeline...

— Ah ! bah !... murmura César.

— Tu as rôdé autour d’elle tout l’hiver dernier, poursuivit l’oncle ; j’ai vu bien des choses... Certainement elle t’aime...

— Bah ! bah ! répéta le beau César.

— Sa dot est des plus minces, dix mille francs peut-être tout compris, poursuivit le vieux Fauberton en s’ attachant à son idée ; n’importe ! si tu te sens quelque penchant pour elle, je veux bien que tu réponses... Voyons, es-tu décidé ?... Nous pourrions faire la demande ce soir même, et la noce dans dix jours...

— Oui, mon oncle, rien ne s’y oppose, dit César consterné ; je ferai comme il vous plaira. Néanmoins permettez-moi de vous faire ob-