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était jointe une instruction étendue et détaillée que Lenet nous a conservée[1], et qui jette la plus triste clarté sur cet épisode de la fronde, où se peint son funeste génie, et où l’on voit à découvert l’abîme où l’ambition de quelques grands seigneurs menaçait de précipiter la patrie. Il est dit formellement dans cette instruction qu’en retour des secours demandés, on assurera aux Anglais un port dans la rivière de Bordeaux pour la retraite et sûreté de leurs vaisseaux, comme Castillon, Royan, Talmont, ou Paulhac ou Arcachon, s’ils veulent, qu’ils pourront fortifier à leurs frais, ainsi que les Espagnols ont fait à Bourg. Ils pourront encore faire une descente à La Rochelle et s’en emparer. Ils pourront même assiéger et prendre Blaye. « Et, dit l’instruction, comme le principal mobile des affaires d’état est l’intérêt, et que celui de l’Angleterre est de faire naître des affaires dans la France qui puissent l’occuper par une guerre intestine, lorsqu’en temps de paix elle voudrait agir pour le rétablissement du roi d’Angleterre, ils proposeront sans doute si Bordeaux ne voudroit point prendre une forme de gouvernement toute nouvelle et se servir de cette occasion pour mettre ceux de la religion dans leurs intérêts et affermir l’un par l’autre leur liberté commune. » Dans ce cas, les envoyés devront répondre qu’il a jusqu’ici été impossible de porter les protestans à cette entreprise, quoiqu’ils soient fort mécontens, de crainte que le roi de France ne les accable, et qu’il faut préalablement qu’ils voient une flotte et une armée anglaises dans la Gironde : « alors ils crieroient hautement liberté. » Cette instruction avec le plein pouvoir qu’elle accompagne est datée d’avril 1653 et signée par le prince de Conti, par Marsin, par Lenet, qualifié de « plénipotentiaire de son altesse sérénissime monseigneur le Prince, » par Laperrière, maire de la ville de Bordeaux, le chevalier de Thodias, premier jurat, et dix-huit bourgeois. Les trois envoyés étaient un conseiller au parlement nommé Trancas et deux bourgeois, Blarut et Dezert. Ils devaient s’entendre avec le marquis de Cugnac et avec Barrière, auquel on donne le titre de « résident de son altesse sérénissime monseigneur le Prince auprès de la république d’Angleterre. » Il n’y a point à s’y méprendre, c’était là un acte évident de forfaiture envers la couronne de France, le crime d’état le plus certain, le mieux caractérisé. Et tout cela se faisait avec l’agrément et sous l’autorité d’un prince du sang ! « Je suis bien aise, écrit Condé à Lenet[2], de l’acte qui s’est passé pour appeler le secours de l’Angleterre, n’y ayant rien qu’il ne faille mettre en usage pour sauver Bordeaux. » Et il annonce qu’il envoie M. de

  1. Lenet, p. 602-605.
  2. Lenet, ibid., p. 609.