Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/788

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’esprit de secte républicaine et calviniste. Des ministres de l’Évangile, cette ordinaire et habile avant-garde de l’Angleterre, étaient venus à Bordeaux, s’étaient fait affilier à l’Ormée, comme les statuts de la société le permettaient ; là, rencontrant un assez grand nombre de protestans, ils les avaient échauffés, et ils disaient hautement que l’Angleterre serait bien autrement disposée à secourir la Guienne, si elle avait l’espoir d’y trouver, comme autrefois à La Rochelle, des alliés politiques et religieux. Ce langage et ces desseins épouvantèrent Lenet, et il s’empressa de les dénoncer à Condé. Celui-ci ne s’en émut guère. Déjà refoulé par Turenne dans la Flandre espagnole, il cherchait partout des forces pour la campagne qui allait s’ouvrir, sans s’inquiéter de quel côté elles lui viendraient. Il n’avait assurément pas le moindre goût pour la république, mais il n’en avait pas peur. Il savait très bien que ces bouffées républicaines n’étaient pas contagieuses en France, et il ne voyait dans la petite agitation qui effrayait tant Lenet qu’un moyen d’empêcher Bordeaux d’accepter l’amnistie, et une amorce à l’Angleterre pour en tirer une flotte et les régimens qu’il lui demandait. Aussi répond-il à Lenet avec le plus grand sang-froid, de Stenay, le 10 mars 1653[1] : « Je n’ai rien à vous dire sur les divisions de Bourdeaux que ce que je vous ai déjà mandé, qu’il faut toujours appuyer le parti qui sera le plus fort ; et pour vous dire mes sentimens sur cette cabale des huguenots que vous me mandez devoir aller droit à la république, je crois que ce n’est pas la plus mauvaise de toutes, et mon sentiment est qu’il vaut mieux la soutenir, sans pourtant la rendre la maîtresse, que de l’abattre, car il est certain qu’elle ne pourra jamais venir à ses fins, et, conservant toujours cette pensée de république, elle empêchera les autres d’accepter l’amnistie et de demander la paix. »

En conséquence, tandis qu’il dépêchait le comte de Fiesque en Espagne pour se plaindre des irrésolutions et des procédés équivoques du baron de Vateville, et réclamer la complète exécution des traités, Condé n’hésita pas à autoriser une démarche extraordinaire à laquelle se porta Bordeaux sous l’impulsion de l’Ormée. La ville envoya en son nom et au nom des princes trois députés en Angleterre avec plein pouvoir de conclure « tous traités, associations et alliances avec messieurs du parlement de la république d’Angleterre, afin d’obtenir d’eux des secours nécessaires d’hommes, de vaisseaux et d’argent pour la manutention de Bordeaux, de la province de Guienne, et rétablissement de leurs anciens privilèges, à telles conditions qu’ils jugeront à propos. » À ce plein pouvoir

  1. Lenet, p. 599.