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rétablir. Tout ennemi du gouvernement français était donc fort bien venu à Londres et auprès de Cromwell, à plus forte raison un personnage tel que Condé, qui si souvent avait tenu la victoire entre ses mains. D’ailleurs il y avait toujours eu de fréquentes relations de commerce entre la Guienne et l’Angleterre, et, grâce à la Gironde, la distance n’était pas grande de Londres à Bordeaux. Aussi avait-il été facile à l’Espagne d’intéresser l’Angleterre à l’entreprise de Condé. Le prince s’était empressé d’envoyer à Londres deux agens, le marquis de Cugnac et M. de Barrière avec un M. de Saint-Thomas, particulièrement chargé de lui recruter des soldats en Irlande, dont la population catholique et royaliste n’était pas fort précieuse à la nouvelle république protestante. Cette permission fut aisément accordée à Condé, comme l’Espagne l’avait déjà obtenue pour elle-même. Ces régimens irlandais, arrivés successivement en Guienne au milieu et vers la fin de l’année 1652, furent d’un très grand secours à Marsin et à Balthazar[1]. Mais lorsque les agens du prince allèrent plus loin, et demandèrent la liberté du commerce, qui aurait tant profité à Bordeaux à cause de ses vins, déjà fort recherchés en Angleterre, et de plus une flotte avec des troupes de débarquement, ils trouvèrent devant eux la politique anglaise, fort peu chevaleresque, qui, avant de s’engager, exigea tout d’abord de sérieux avantages, un port et une place de sûreté[2]. À ce puissant mobile de l’intérêt national se joignait ici un autre mobile encore, qui le secondait merveilleusement,

  1. Lenet, p. 559 ; Lettre de Lenet à Condé du 8 août 1652 : « Les Irlandois sont arrivés cette nuit devant Poyac (sic, mais probablement Paulhac, dont il sera bientôt question) sur quatre vaisseaux. » — Ibid., p. 570. Don Louis de Haro à Lenet, septembre 1652 : « Il auroit été bien inutile d’envoyer à M. de Vatoville les Irlandois qui débarquèrent à Saint-Sébastien ; mais depuis vous en aurez reçu un corps de mille et cinq cents, et l’on continuera de vous envoyer le reste. » — Ibid., p. 584. Saint-Thomas à Lenet, 11 novembre 1652 : « Ce matin on m’a offert mille Irlandois à très bon compte. »
  2. Lenet, p. 584. M. de Saint-Thomas à Lenet, 13 novembre 1652 : « On a dessein ici de vous protéger à quelque prix que ce soit ; mais ils veulent un traité, et un port pour sûreté de leurs vaisseaux et dépenses, et vous donneront un secours capable de prendre La Rochelle. En attendant, ils fourniront à vos dépens mille Irlandois, si vous en avez besoin. » — Le même au même, 2 décembre 1652 : « Pour la dépense qu’il faut faire pour lever les Irlandois qu’ils vous offrent, je confesse qu’elle est grande, quoique ce ne soit que 12 livres par homme rendu au vaisseau, outre que si la liberté pour les vins s’accorde, comme je l’espère et comme celui que je vous envoie vous en portera la résolution, tant s’en faut qu’il vous en coûte de l’argent, que, chargeant deux vaisseaux de vins, ils vous ramèneront mille hommes… Quelques-uns du conseil d’état m’ont dit que le traité particulier que le parlement voudroit faire avec vous est plutôt pour faire une diversion par votre moyen, au cas qu’on leur déclarât la guerre en France, que pour dessein qu’ils aient de la commencer. Ils m’ont dit que lorsqu’ils auront traité avec vous, on ne vous envoiera pas moins de douze mille hommes et des vaisseaux suffisamment pour les mener et pour entreprendre sur La Rochelle ou tel autre lieu que vous jugerez le plus à propos. »