Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/785

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

force. Une autre fois, un serrurier ayant tenu des propos contre l’Ormée, le tribunal de la société le condamna à l’emprisonnement ; à défaut d’autre prison, on le mena dans celle de l’hôtel de ville, et on le jeta dans la basse-fosse des criminels. Les jurats n’osèrent l’élargir, mais, par pitié pour ce malheureux, ils lui donnèrent un moins mauvais logement. Le lendemain, Duretête vint demander au procureur-syndic qui avait été assez hardi pour entreprendre sur leur juridiction ; et, se rassemblant dans la chambre du conseil, lui et ceux qui le suivaient, au nombre de trente, ils firent comparaître le pauvre serrurier, le jugèrent de nouveau, lui prononcèrent sa sentence et l’obligèrent à demander pardon à l’Ormée. Enfin, craignant pour leurs assemblées le voisinage du fort du Hâ, ils le démolirent, et Condé les en félicita. « Pour le regard du château du Hâ, écrit-il à Lenet le 8 septembre 1652, témoignez à ces messieurs de l’Ormée que je suis bien aise de la résolution qu’ils ont prise de le raser, et que c’est une chose que je désirois depuis longtemps pour leur satisfaction. »

On conçoit combien une pareille domination était insupportable à toute la bonne bourgeoisie de Bordeaux, et quand le 21 octobre 1652 le roi rentra dans Paris avec une amnistie générale pour les princes et leurs partisans, à la condition qu’ils poseraient les armes trois jours après sa publication, renonceraient aux traités qu’ils pouvaient avoir conclus avec l’étranger, et feraient sortir les Espagnols des places où ils les avaient introduits, tous les honnêtes gens furent d’avis d’accepter avec empressement une telle amnistie. Le parlement, ou du moins la grande majorité de ses membres, se crut parfaitement libre envers Condé : on l’avait défendu contre les persécutions de Mazarin ; mais Mazarin était présentement hors du royaume ; Condé n’en avait plus rien à craindre ; le roi lui tendait la main ; comment penser à le soutenir contre le roi ? Le parlement voulait donc enregistrer la déclaration royale. C’en était fait de Condé sans l’Ormée. Ce fut l’Ormée qui signifia au parlement qu’il eût à ne point enregistrer la déclaration jusqu’à ce qu’on eût appris si elle était agréable à M. le Prince. Celui-ci ne manqua pas de prétendre que la sortie de Mazarin du royaume était une pure feinte, qu’en réalité il gouvernait toujours, que ses créatures composaient le cabinet, et qu’avant peu on le verrait reparaître à la tête des affaires, qu’ainsi rien n’était changé, et qu’au lieu de se rendre, il fallait redoubler d’efforts pour délivrer le roi prisonnier, selon les anciennes résolutions. Dès ce moment, la situation s’éclaircit ; il n’y eut plus dans Bordeaux que deux partis : l’un pour le roi, l’autre pour Condé, pour la paix ou pour la guerre ; le premier beaucoup plus nombreux, répandu partout, mais sans lien, sans action commune ;