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moyens qui se pourront inventer pour apaiser la furie de l’Ormée auront été employés. » Le 15 juillet, il s’explique encore plus clairement. « Je persiste toujours dans la pensée de nous joindre tous à ceux de l’Ormée, puisque ce parti se trouve de beaucoup plus fort que l’autre, et que l’on n’a pu le réduire ni par adresse ni par autorité ; ce que je crois qu’il vaut mieux faire que de hasarder de perdre Bourdeaux. »

L’Ormée, se voyant ainsi ménagée, et non point seulement, comme le dit La Rochefoucauld, par Mme de Longueville et le prince de Conti, mais par Condé lui-même, s’enhardit, et songea à se constituer solidement et à former un gouvernement véritable, qui pût au besoin remplacer celui du parlement et de l’hôtel de ville. Imitant la ligue ou devançant les jacobins, elle s’érigea en une société publique qui avait ses lois, ses magistrats de différent ordre, sa force armée avec toute la hiérarchie militaire. Le lien des membres entre eux était la signature d’un petit nombre d’articles sur lesquels reposait l’Union de l’Ormée[1]. Les ormistes s’engageaient à exposer leur vie et leurs biens pour faire prévaloir le principe qu’ils avaient droit de voter dans les assemblées générales de la cité et de faire rendre compte à ceux qui maniaient les deniers publics. Ils devaient se protéger réciproquement, et dans le cas de différends choisir entre eux des arbitres, prêter de l’argent sans intérêt à ceux des leurs qui tomberaient dans le besoin, secourir les veuves et les enfans de leurs confrères morts, enfin recevoir dans la société les étrangers qui demanderaient à en faire partie et justifieraient des qualités requises. La société avait pris pour armes un ormeau avec un serpent tout autour, et cette devise : Estote prudentes sicut serpentes, et cette autre : Vox populi, vox Dei[2]. Chaque membre portait d’ordinaire une branche d’orme. Comptant plus sur l’union et sur l’audace que sur le nombre, l’Ormée n’était composée que de cinq cents membres[3], sauf à recourir en outre au bras des citoyens de bonne volonté, et ces affiliés ou auxiliaires montèrent peu à peu jusqu’à douze mille. Elle avait une juridiction spéciale qui s’appelait la chambre de l’Ormée, tribunal formidable, semblable à ces terribles comités de vigilance qui souvent s’élèvent en Amérique pour suppléer à l’impuissance de la police et de la justice ordinaire. Les sentences de ce tribunal étaient sans appel, et elles étaient exécutées sur-le-champ. L’Ormée, comme les jacobins, n’avait point de chef reconnu ; mais,

  1. Articles de l’Union de l’Ormée en la ville de Bourdeaux, quatre pages in-4o ; pièce très rare, Dom Devienne en donne la substance, page 447.
  2. Voyez deux pamphlets ormistes, le Manifeste bourdelois, in-4o, huit pages ; la généreuse Résolution des Gascons, in-4o.
  3. Dom Devienne, p. 447.