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bien ou mal entendu de Condé, à sa recommandation et même par son ordre.

Lorsque Condé arriva en Guienne avec sa famille à la fin de septembre 1651, toutes les classes de la société s’engagèrent dans sa querelle avec une ardeur égale ; cependant, comme il était inévitable, les uns voulaient s’arrêter en de certaines limites, les autres étaient disposés à les franchir toutes. De là la petite et la grande fronde. La petite fronde voulait bien soutenir les droits d’un prince du sang, couvert de gloire, contre l’injustice d’un favori étranger, comme on disait alors, mais en cela même elle croyait servir le roi. À mesure, que les choses marchèrent, sa loyauté conçut des scrupules ; elle vit avec peine une flotte espagnole entier dans la Gironde et des régimens espagnols prendre possession de Bourg. Bientôt cette modération devint suspecte aux esprits ardens de la grande fronde. La petite comprenait ce qu’il y avait de mieux dans le parlement, l’hôtel de ville et la bourgeoisie, par la naissance, les lumières, la fortune ; la grande avait pour elle le nombre et la force. Dans le sein même de la grande fronde, les plus violens tout naturellement se séparèrent des autres, et composèrent une faction à part, sortie du bas peuple, ou du moins de la très petite bourgeoisie, quoiqu’elle eût aussi des adhérens dans les rangs les plus élevés. Ne tenant à aucun corps constitué, elle s’assemblait en plein air, à l’une des extrémités de la ville telle qu’elle était alors[1], sur une espèce de plate-forme située entre le fort du Hâ et la porte de Sainte-Eulalie, et appelée l’Ormée[2] à cause des ormes nombreux dont elle était plantée. La faction en prit le nom de l’Ormée, et ses membres celui d’ormistes. Ces divisions naissaient en quelque sorte d’elles-mêmes, et elles étaient déjà formées lorsque Condé était encore à Bordeaux. Tant qu’il demeura en Guienne, sa gloire et son énergie dominèrent et continrent toutes les cabales ; mais après son départ, sous le faible gouvernement que nous avons fait connaître, elles éclatèrent, et l’Ormée grandit. Il est vraisemblable que Mme de Longueville, résolue à ne poser les armes qu’après la victoire et à résister jusqu’à la dernière extrémité, sentit le besoin de ne pas mettre contre soi des hommes énergiques, qui pouvaient un jour devenir nécessaires. Condé ne tarda pas à penser comme elle. De

  1. Voyez quelque ancienne carte de Bordeaux, par exemple celle de Duval, chez Borey, qui est précisément de l’année 1653 ; mais c’est un simple trait. La petite carte de Defer contient plus d’indications. Celle de Lattre de 1733 et celle de M. de Tourny de 1754 présentent parfaitement l’ancien Bordeaux avec tous ses accroissemens.
  2. Dans plusieurs pamphlets bordelais du temps, ce lieu est appelé l’Ormaie, dans d’autres l’Ormière, et ce dernier nom est celui dont se sert constamment le journal qui paraissait alors à Bordeaux, le Courrier Bourdelois. Souvent aussi on dit l’Ormée, et c’est ainsi que disent Condé, La Rochefoucauld, Lenet, Montglat, dom Devienne, etc. Ce dernier nom a prévalu.