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Sans être un général, il avait fait preuve du plus brillant courage, et sa douceur et ses manières engageantes le rendaient fort propre à la mission dont il était chargé, et qui était politique encore plus que militaire. Le duc de Candale devait sans doute chasser devant lui Marsin et le resserrer dans Bordeaux ; mais il devait aussi, il devait surtout faire la guerre à la mode de Mazarin, c’est-à-dire s’appliquer à adoucir les ressentimens de la Guienne, que les hauteurs et les rigueurs du duc d’Epernon avaient poussée à la révolte, caresser tous les intérêts, flatter toutes les espérances, prodiguer toutes les promesses, animer le zèle des amis du roi, fomenter et attiser les divisions intestines qui depuis longtemps travaillaient le parti des princes. Le duc de Candale répondit parfaitement à l’attente de Mazarin. Il avait sous lui une nombreuse armée devant laquelle celle de Marsin fut bientôt forcée de reculer. Presque en même temps le grand-amiral César de Vendôme vint dans la Gironde avec la flotte royale intercepter tous les secours que Bordeaux pouvait espérer par cette voie. Plus tard, le comte d’Estrades, homme de guerre autant que diplomate, après avoir vaillamment défendu Dunkerque et en être sorti avec tous les honneurs de la guerre, fut envoyé à Agen, sa patrie, pour y prendre le commandement de tout le pays et donner la main au duc de Candale. Ainsi secondé et par terre et par mer, le duc fit aisément des progrès rapides, et dès les commencemens de l’année 1653, la domination de la fronde en Guienne se réduisait presque à Bordeaux et aux villes les plus voisines, Bourg, Saint-André, Libourne. Au loin, quelques villes isolées, Bergerac, Périgueux, Marmande, tenaient à peine, et pendant ce temps la discorde régnait dans Bordeaux : elle allait partout croissante, dans les conseils du pouvoir, dans le parlement, dans l’hôtel de ville, dans la bourgeoisie, et jusque dans le peuple.


IV

La Rochefoucauld, poursuivant le cours de ses tristes calomnies, prétend que c’est Mme de Longueville qui, pour relever son importance personnelle et se ménager une force propre sur laquelle elle se pût appuyer dans toutes ses démarches, soit avec Condé, soit avec la cour[1], donna la main à cette terrible faction de l’Ormée qui, en effrayant à Bordeaux les honnêtes gens, les ramena peu à peu à Mazarin. L’étude sincère des faits réfute aisément cette accusation, et fait voir que si Mme de Longueville a plus ou moins favorisé l’Ormée, ce qui n’est nullement prouvé, ce n’a pas été par les honteux motifs que lui prête La Rochefoucauld, mais dans l’intérêt

  1. La Rochefoucauld, ibid., p. 130, et surtout p. 132.