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SCÈNES DE LA VIE DES LANDES.

L’écarteur offrait de se mettre en campagne pour trouver à son tour les traces découvertes par Angoulin ; il promettait de mettre en mouvement tous les grands messieurs qui s’intéressaient à lui. Margaride l’aidait auprès de son oncle en déclarant qu’aucune puissance au monde ne pouvait la contraindre à épouser Angoulin, qu’elle préférerait se jeter dans le Midour. Jean Cassagne répondait que le Midour était une rivière inoffensive où il était bien difficile de se noyer, et que quant à la piste de l’héritage, si Frix était habile à trouver celle du gibier, Angoulin était plus habile à trouver celle de l’argent. En attendant, il prit une position diplomatique, fit bonne mine au vieil usurier et ferma les yeux sur les nombreux rendez-vous que Margaride donnait à Frix, et ce au grand déplaisir de Marioutete, qui déclarait partout que Margaride n’épouserait ni Frix ni Angoulin.

Celui-ci, au milieu des rumeurs qui l’entouraient, conservait un flegme imperturbable ; au fond du cœur, il nourrissait une haine dangereuse contre l’écarteur, qui, par son intervention, avait rendu difficile une entreprise grâce à laquelle Angoulin comptait doubler sa fortune. Moucadour ne s’était pas trompé : Angoulin, qui avait toujours l’esprit tourné vers le gain, et qui conservait dans sa mémoire les moindres circonstances qui pouvaient être pour lui la source d’un bénéfice, s’était rappelé la lettre d’introduction apportée par la mère de Margaride. Si cette lettre disait vrai, la Cicoulane appartenait à une famille riche. S’il pouvait s’en assurer et épouser cette enfant abandonnée, il se procurait ainsi une belle dot et une femme docile. Il se mit à interroger avec soin tous les charpentiers qui, dans leurs tours de France, avaient pu connaître Pierre et donner quelques renseignemens sur son mariage. Il y avait plus de dix ans qu’il savait que Pierre s’était marié en Alsace avec la fille d’un riche entrepreneur. C’était déjà un grand point : l’Alsace est grande, mais moins grande que l’Allemagne. D’ailleurs les recherches devaient être plus faciles en France qu’en pays étranger. Il savait le nom du grand-père de Margaride ; aussi, quand une colonie d’Alsaciens vint s’établir dans les Landes, il alla rôder autour d’eux, et demander des renseignemens sur un entrepreneur nommé Dietz. Il eut le bonheur de rencontrer un charpentier qui put lui donner des détails à peu près complets. Bernard Dietz était mort depuis trois ans, laissant à son fils unique une fortune de six cent mille francs. Il avait eu une fille qui avait fait un mariage d’inclination avec un ouvrier étranger. Elle avait suivi son mari, obligé de se sauver aux États-Unis, et on n’avait plus entendu parler d’eux. On croyait qu’ils étaient morts dans un naufrage. Le fils Dietz demeurait à Paris ; mais le père était mort à Wasselonne, pe-