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Rochelle et Brouage, sur les îles de Ré et d’Oleron, et sur une flotte considérable ; il pouvait manœuvrer librement de tous côtés, menacer la cour à Poitiers et donner la main à Nemours et à Tavannes sur la Loire, tandis que Marsin tiendrait ferme à Bordeaux et lui garderait toutes les conquêtes déjà faites. Ce plan hardi et judicieux échoua par l’égoïsme et les honteuses fourberies de Du Dognon. Celui-ci voulait bien promettre et prêter même quelques secours à Condé afin d’en obtenir le maréchalat s’il était vainqueur, mais sans livrer ses places et se dessaisir du gage qui était sa force, et qui lui servait à négocier en même temps avec les deux partis. Il refusa donc de recevoir Condé dans son gouvernement, l’assurant bien qu’il saurait conserver ses deux forteresses à la fronde et les défendre contre l’armée royale. Cette fois il se trompa lui-même. Du Dognon était un excellent officier de mer, qui avait fort bien servi sous le jeune et illustre amiral Armand de Maillé-Brézé, beau-frère de Condé ; mais il n’était pas général, encore moins ingénieur : il défendit mal La Rochelle, et il en fut bientôt chassé par le comte d’Harcourt et par un oncle de La Rochefoucauld, le marquis d’Estissac, secondés par les habitans eux-mêmes, las des exactions et des cruautés de leur gouverneur. Du Dognon se réfugia à Brouage, où il attendit les événemens, et au bout de quelque temps se remit à négocier avec la cour. Mazarin se garda bien de le rebuter ; il lui promit et finit même par lui accorder le bâton de maréchal, à la condition qu’il remettrait Brouage et sa flotte entre les mains du duc de Vendôme.

Le comte d’Harcourt, encouragé par le succès qu’il venait de remporter à La Rochelle, enhardi par un puissant renfort de six mille hommes de pied et de quatre mille chevaux[1], et bien informé de l’extrême faiblesse des troupes de Condé, marcha enfin à sa rencontre et le força de reculer. La partie, en effet, n’était pas égale. D’Harcourt avait une armée de près de quinze mille soldats aguerris, commandés par des lieutenans-généraux et des maréchaux de camp qui avaient fait leurs preuves, Saint-Luc, Bellefonds, Plessis-Bellière, Bougi, le comte de Lillebonne, et le jeune chevalier de Créqui, encore à ses débuts, mais appelé à devenir un des premiers hommes de guerre de la fin du XVIIe siècle. Condé avait à peine quinze cents hommes de bonnes troupes, qu’il avait été contraint de disséminer sur divers points importans, et pour tenir la campagne il n’avait guère que des bandes de paysans à peine habillés et armés, excellens pour piller et ravager, mais qui n’osaient pas regarder en face les vieux soldats de l’armée royale. Jusque-là, sa véritable force avait été la terreur de son nom est sa prodigieuse activité. Partout

  1. La Rochefoucauld, p. 107, et Mémoires de Montglat, collection Petitot, t. L, p. 311.