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ne pouvait pas donner lieu à de grands développemens de style. C’est le prélude charmant d’un génie qui cherche encore sa voie, et dont l’éclosion a été lente et très laborieuse. Weber, aussi bien que son condisciple Meyerbeer, a commencé par imiter, dans de certaines proportions, les allures faciles des compositeurs italiens. Déjà dans le petit ouvrage de Sylvana, qui est pour ainsi dire le germe d’où sortira plus tard le Freyschütz, on trouve deux ou trois morceaux écrits dans le style de l’opéra bouffe, avec de nombreuses vocalises que Weber ne répudiera jamais, car il en amis dans Oberon, dans Euryanthe et dans le grand air d’Agathe du Freyschütz. Il est impossible de méconnaître l’accent et la mélodie courte, mais tendre et profonde de Weber dans l’andante de l’air d’Hassan, — ô Fatime ! — que M. Meillet chante avec goût et sentiment. Un joli duo entre les deux époux, Hossun et Fatime, un chœur bien rhythmé, un air tout printanier de Fatime, et quelques détails de l’instrumentation suffisent pour dévoiler la main encore novice de Weber et pour intéresser le connaisseur. Après le plaisir de voir lever l’aurore, je n’en connais pas de plus piquant pour un observateur judicieux que d’étudier les préludes d’un homme de génie et de le saisir dans la ruche alors qu’il forme le miel qui doit immortaliser son nom ; Il n’y a que les musiciens grotesques ou les grotesques musiciens qui n’intéressent jamais personne, et ce sont précisément ceux-là qui importunent les contemporains du récit de leurs divagations.

L’Enlèvement du Sérail, et non pas au Sérail, comme porte l’affiche du Théâtre-Lyrique, ce qui est un contre-sens, occupe dans l’œuvre et la carrière de Mozart une place bien autrement importante qu’Abou-Hassan dans celle de Weber. C’est à Vienne, en 1782, que Mozart a écrit ce délicieux chef-d’œuvre, qui n’a cessé depuis lors d’être joué sur tous les théâtres de l’Allemagne. Mozart avait alors vingt-six ans, et non pas dix-sept, comme l’ont dit des critiques qu’on aurait dû croire mieux renseignés sur des faits aussi universellement connus. Ce n’est pas notre honorable ami, le savant M. Delécluze, qui commettrait de pareilles énormités en parlant d’un tableau de Raphaël. Indépendamment de deux ou trois opéras composés dans son enfance en Italie, Mozart avait écrit Idomènée en 1780 à Munich, c’est-à-dire un chef-d’œuvre dont le Conservatoire nous fait entendre souvent d’admirables fragmens. L’Enlèvement du Sérail et la Flûte enchantée, qui est de l’année 1791, sont les deux seuls opéras en langue allemande qu’ait composés Mozart. Le libretto de l’Enlèvement, tiré d’une vieille pièce du théâtre allemand, fut écrit presque sous la dictée du grand musicien par un certain Stephani. Mozart mandait à son père le 1er août 1781 : « Le jeune Stephani m’a apporté avant-hier un libretto à mettre en musique. Le livret est joli, et le sujet est tout à fait turc. Je composerai l’ouverture, le chœur du premier acte, ainsi que le chœur final, avec de la musique turque. Je suis si content de mon sujet, que le premier air que doit chanter la Cavalieri, celui que je destine au ténor Adam berger, et le trio qui termine le premier acte sont déjà faits. » Après une année de luttes contre une cabale formidable qui avait bien conscience de la grandeur du génie qu’elle voulait empêcher de se produire, la première représentation de l’Enlèvement du Sérail eut lieu le 13 juillet 1782 avec un immense succès. Dans une lettre que Mozart écrit à son père le 7 août, il lui dit que Gluck a été si