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bat si inégal, le colonel Sonnaz aurait pu se replier sur Voghera. S’il est vrai que le colonel Sonnaz fût lié à son poste par des ordres précis, l’objection tombe d’elle-même ; mais lors même qu’il n’eût pas eu d’ordres, le colonel Sonnaz aurait encore rendu par son opiniâtre résistance un grand service à la conduite de nos opérations. Que pouvaient en effet se proposer les Autrichiens dans leur attaque contre Montebello ? S’emparer de cette position pour la garder et se préparer un champ de bataille où ils auraient attendu de pied ferme l’armée française ? Cette hypothèse a peu de vraisemblance. Ce n’est pas avec quinze ou vingt mille hommes que l’on vient se poster à quelques kilomètres de l’armée française. La retraite du général de Stadion derrière le Pô et l’immobilité de l’armée autrichienne démentent d’ailleurs cette supposition. Les Autrichiens ont-ils voulu, comme ils le disent, faire seulement une forte reconnaissance ? Préoccupés de l’idée qu’ils seraient attaqués du côté de Pavie ou de Plaisance, ont-ils voulu s’assurer des forces dont nous pouvions les menacer sur ce point ? Nous le croirions volontiers, quoique l’acharnement avec lequel ils ont défendu Montebello ne s’accorde guère avec la pensée d’une simple reconnaissance. Dans ce cas, la vigueur avec laquelle une brigade sarde et une division française se sont battues à Montebello paraît les avoir déroutés sur notre intention véritable, car tandis qu’à la suite de la journée du 20 les Autrichiens se renforçaient sur leur droite et se retranchaient sur la rive gauche du Pô, entre Pavie et Plaisance, et sur la rive droite en face de cette dernière ville, c’était sur leur droite et dans la Haute-Lombardie que nous nous apprêtions à prendre l’offensive. Puisqu’ils ont tant contribué à ce résultat, les chevau-légers piémontais ont eu raison de résister sur les bords de la Fossa-Gazza : leurs portes ne sont pas seulement glorieuses, elles ont été utiles.

Dans un moment où se préparent les chocs décisifs des armées, il faut faire un violent effort pour se replier vers les affaires intérieures de la France. Ces affaires intérieures se relient cependant nécessairement, elles-mêmes à la guerre. Tel est, par exemple, l’emprunt, dont le résultat définitif, que nous connaissons aujourd’hui, a dépassé toutes les espérances. La souscription est cinq fois plus considérable que la somme demandée, et les versemens obligatoires qui l’ont accompagnée ont atteint la somme de 250 millions. Nous savons que les esprits sérieux ne s’éblouissent point d’un tel résultat. Ils savent que ce serait faire trop d’honneur à la clairvoyance des petits capitalistes, qui ne laissent pas échapper l’occasion de placer leurs épargnes en fonds publics à raison de 5 pour cent, que de la confondre avec les inspirations les plus pures et les plus dévouées du patriotisme. Non, le souscripteur d’emprunts n’apporte point une offrande sur l’autel de la patrie ; il a souvent un certain enthousiasme politique, mais cet enthousiasme donne lieu quelquefois à de plaisant quiproquos, témoin l’exclamation naïve de ce bon paysan qui disait naguère à un banquier après avoir acheté un coupon de rentes : « Ce n’est pas cet imbécile (il parlait d’un gouvernement déchu), qui nous aurait donné de la rente à 61 francs ! » Nous nous résignons donc à ne point voir dans le souscripteur d’emprunt de personnage plus sublime qu’un capitaliste avisé, amateur d’un revenu excellent et solide, ou un spéculateur prévoyant, qui ne dédaigne pas un bénéfice éventuel et presque certain de 3 ou 4 pour 100. Pour être modeste et positive,