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de grandes possessions en Autriche, dans le radicalisme lui-même, qui a vu se rouvrir par une guerre universelle de nouvelles perspectives de bouleversement, dans une multitude d’intérêts d’industrie et de spéculation qui ont afflué depuis quelques années à Vienne, et qui se sont vus menacés. C’est ainsi que cette agitation s’est développée, et l’Allemagne a offert le spectacle d’un pays où l’exaltation est d’autant plus grande que les états sont plus petits. Nassau est en effervescence, le Hanovre multiplie les propositions à la diète de Francfort, et la Prusse ne s’est point départie jusqu’ici d’une politique pleine de réserve et de modération. Lorsqu’on a voulu donner aux armemens de la confédération un cachet d’hostilité contre la France, elle s’est efforcée de maintenir à ces armemens un caractère défensif ; lorsque la cour de Vienne a tenté de rattacher les mesures militaires adoptées en Allemagne à l’ultimatum autrichien, le cabinet de Berlin s’est hâté de décliner cette solidarité. Ce n’est pas que la Prusse n’ait ses perplexités, qui se sont traduites récemment dans les débats des deux chambres. Au fond cependant, en cherchant la vérité, on pourrait dire que la Prusse ne croit nullement l’Allemagne solidaire de la domination impériale en Italie : les orateurs qui ont montré le plus de vivacité contre la France ne l’ont pas caché, ils ont répudié pour leur pays le rôle d’auxiliaire de la politique autrichienne ; mais en déclinant ce rôle, la Prusse veut conserver le droit de fixer elle-même la limite où les intérêts autrichiens viendront se confondre avec les intérêts allemands dans la guerre d’Italie, et dans cette attitude elle voit probablement un moyen d’intervenir avec plus d’efficacité au moment voulu, pour ramener la paix. C’est là ce qu’elle appelle la politique véritablement allemande.

Une chose est certaine au milieu des pressantes conjonctures qui nous entourent, c’est que cette question italienne, que tous les efforts doivent tendre à simplifier, et que l’Autriche seule a intérêt à compliquer, peut devenir un moyen de fortifier l’équilibre de l’Europe, au lieu de le mettre en péril. Si cette indépendance de l’Italie, qui doit être l’unique but de la guerre, eût existé depuis longtemps, des flots de sang humain n’eussent pas coulé. À cette place vide sont venus s’entre-choquer tous les intérêts et toutes les politiques. L’Autriche a appelé la France, et la France a appelé l’Autriche. « Cette veine donnera toujours du sang, disait il y a quarante ans un diplomate, jusqu’à ce qu’on laisse l’Italie à elle-même et que tous les étrangers en soient exclus. » C’est ainsi que la nécessité de l’indépendance de l’Italie ressort de l’histoire même, non comme une menace, mais comme une garantie nouvelle pour l’ordre universel.


Ch. DE MAZADE.