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l’Autriche paralyse son essor national, et pèse sur lui de tout le poids d’intérêts qui ne sont pas allemands.

L’influence compressive de l’Autriche n’a pas été moins sensible dans le développement intérieur et libéral de l’Allemagne. Quand arriva le jour de 1815, les peuples allemands étaient singulièrement surexcités. Les princes, pour les animer au combat contre la France, leur avaient fait des promesses libérales, dont ils demandaient la réalisation, et que plus d’un souverain d’ailleurs ne songeait pas à éluder. L’Autriche, qui plus que toute autre puissance avait profité de la victoire, n’avait nullement la pensée de laisser se développer ce mouvement. Vivant avec ses traditions féodales et impériales, elle se croyait intéressée à combattre un progrès qui pour elle n’était que la révolution, et c’est ce qu’elle fit en embarrassant, autant qu’elle put la création des assemblées d’états dans chaque pays. Ce serait une histoire instructive que celle de la confédération germanique dans ces premiers temps. Qu’on observe bien que le pacte fédéral primitif, en créant la force défensive de l’Allemagne, n’avait d’autre objet que de l’appliquer à la garantie de la sûreté extérieure, de l’indépendance de la confédération. Le mot de « sûreté intérieure » y avait été introduit ; mais il avait un sens particulier : il voulait dire que des états fédérés ne pourraient entrer en hostilité sans que la diète intervînt pour empêcher ce qui serait une véritable guerre civile. L’Autriche sut habilement tirer parti de ce mot, le faire passer au premier rang, et le tourner contre tout mouvement libéral. Dès lors commençait cette réaction qui a duré quarante ans, et dont un des plus curieux épisodes est le congrès de Carlsbad, qui se réunit en 1819. Par des règlemens sévères sur la presse, par la surveillance organisée, dans les universités, par la constitution d’une commission de la diète, chargée d’une police générale, l’Autriche créait cette force de compression qu’elle voulait pour agir dans tous les états allemands. Elle faisait de la diète un pouvoir souverain, au point de vue intérieur comme au point de vue extérieur, en se réservant à elle-même la direction de la diète, sauf à partager cette direction avec la Prusse, C’est la clé de l’histoire, intérieure de la confédération depuis près d’un demi-siècle.

La Prusse a quelquefois secondé ce travail de réaction, mais il est à remarquer qu’il n’est point essentiellement dans la nature de la politique prussienne de combattre le libéralisme. L’expression de l’opinion publique est une force de plus pour la Prusse, et le gouvernement constitutionnel qui existe aujourd’hui à Berlin le prouve. Pour l’Autriche, la compression est un système et presque une nécessité de situation. Avec des races d’origine diverse, avec des populations de nationalité, de langue et d’esprit différens, l’Autriche a toujours à redouter la décomposition par la liberté, et la