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original et saisissant, le seul prince-soldat dans une lutte d’ambitions dynastiques où les peuples étaient envoyés au combat par des potentats dont pas un ne quittait son cabinet.

Un des faits les plus mémorables et les plus curieux de cette guerre fut le siège de Verrue en 1704. Six mois entiers, cette petite place, que les généraux français appelaient une bicoque, tint tête à Vendôme et exaspéra l’orgueil de Louis XIV. Le gouverneur de Verrue, homme de résolution et d’énergie, le baron Della Rocca d’Allery, fut sommé de capituler ; il répondit à Vendôme qu’il n’entendait pas le français, et qu’on s’adressât au duc. Plusieurs assauts furent inutiles ; les assiégés étaient infatigables à réparer leurs brèches et à repousser les attaques. Épuisés et toujours intrépides, ils avaient fini par n’avoir plus ni chemises ni pain ; le vin était réservé pour les malades. Pendant ce temps, Victor-Amédée était de l’autre côté du Pô, à Crescentino, soutenant par sa présence la petite et vaillante garnison de Verrue, et multipliant les diversions. Résolu à défendre la place « avec les dents si les mains ne suffisaient plus, » il se tint tant qu’il put dans cette position ; il communiquait avec la garnison par des boulets creux où il enfermait ses ordres ; un jour on fit passer ainsi une chemise au gouverneur. Vendôme finit par se tourner contre Crescentino pour déloger le duc et rester face à face avec la place, laissée à ses propres forces. Il y réussit, Verrue ne se rendit pas encore. Ce ne fut qu’après avoir partagé le dernier morceau de pain avec ses soldats et avoir fait sauter les fortifications que Della Rocca se résigna à capituler. Ainsi tomba Verrue ; Nice tombait en même temps. La moitié du Piémont était au pouvoir de la France ; le pays entier était exténué. D’un autre côté, Victor-Amédée restait presque seul, livré à ses propres forces. Il n’avait pas reçu de l’empereur les secours qu’on lui avait promis. Il ne lui restait plus que dix mille hommes, y compris les impériaux, pour défendre Cuneo, Chivasso et Turin. L’envoyé anglais, sir Richard Hill, qui était auprès du duc et qui suivait les événemens, écrivait à Londres : « C’est un grand déplaisir quand on considère que la cour de Vienne n’a rien fait dans ces dix-huit mois, si ce n’est de donner des promesses suivies de déceptions. On ne peut assez blâmer sa lenteur à expédier des secours en Italie. » Joignez à ceci que, même autour du duc, il ne laissait pas d’y avoir un parti favorable à la France, hostile à la guerre. Victor-Amédée alla se renfermer à Turin, ne voulant voir personne.

Tout semblait si désespéré, qu’on crut un instant à une évolution nouvelle du duc vers la France et à une paix séparée du Piémont avec Louis XIV. Sir Richard Hill s’en inquiétait,.et ne cachait pas toutes ses incertitudes au gouvernement anglais, dont Victor-Amédée