Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/707

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maison de Savoie savait faire bon marché de ses droits, et ne s’en servait que pour grandir sa fortune, pour mieux pousser ses projets d’agrandissement en Italie. Or, à ce point de vue, quelle était la position de la maison de Savoie après l’avènement de Philippe V ? Le Piémont était placé entre la France, du côté des Alpes, et le nouveau roi d’Espagne, c’est-à-dire encore la France, à Milan. L’intérêt de Victor-Amédée était donc dans le camp de l’Europe ; une nécessité du moment le liait seule à la France, car il ne pouvait plus, comme dans la guerre de 1690, faire appel aux Espagnols, toujours maîtres du Milanais. Pris dans ce cercle de fer, Victor-Amédée se laissa dicter un traité d’alliance qui ouvrait le Piémont aux armées françaises pour aller défendre la Lombardie ; il devait lui-même fournir dix mille hommes et être généralissime des forces destinées à couvrir l’Italie. Louis XIV pensa faire assez pour lui en lui demandant sa seconde fille, la princesse Louise-Gabrielle, pour le nouveau roi d’Espagne Philippe V ; mais le traité ne stipulait aucun avantage de territoire, et même il fermait l’avenir, en disant qu’à la paix « les parties contractantes resteraient dans leur état primitif. » Là était le venin de l’affaire. Victor-Amédée ne dit rien, entra en campagne, pour aller tenir tête en Lombardie au prince Eugène, descendant d’Allemagne, et même il poussa l’artifice jusqu’à être héroïque pour une cause qu’il se promettait bien de déserter. « Le duc de Savoie, dit le maréchal de Tessé, savait dissimuler au point qu’il combattit à Chiari avec la plus brillante valeur. Il se tint toujours au milieu du plus grand feu, s’exposa beaucoup plus qu’il ne fallait, eut un cheval tué sous lui, et reçut plusieurs coups dans ses habits. » Au fond, Victor-Amédée était mécontent, de sorte qu’il se retrouvait en 1701 dans la situation où il avait été en 1690 : allié contraint et froissé de la France, allié secret de l’Europe par ses intérêts et par ses désirs.

Si Louis XIV avait eu dès ce temps l’instinct des vrais intérêts de la France, il eût réalisé une idée qui n’était pas nouvelle, qui eût comblé les plus ardens désirs de Victor-Amédée, et qui fermait l’Italie à l’Autriche : il eût donné le Milanais au duc de Savoie. L’idée n’était point nouvelle, dis-je, elle se retrouve à tous les momens de l’histoire, depuis le jour où le duc Louis de Savoie fut sur le point d’aller régner à Milan au XVe siècle. Elle était un des ressorts de ce système d’équilibre que le roi Henri IV voulait fonder par une distribution nouvelle des forces européennes. Elle était même entrée dans la tête de Richelieu, qui donnait le Milanais au duc de Savoie par le traité de Rivoli, en 1635, et il est certes curieux de retrouver le préambule de ce traité. « Comme il est manifeste, dit-il, qu’il n’y a pas d’autre moyen de faire jouir l’Italie