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Louis XIV étaient dures, la France réclamait la cession définitive du comté de Nice, l’occupation temporaire de plusieurs places fortes piémontaises, et c’est alors que Victor-Amédée répondait par le mot héroïque : « Je frapperai du pied le sol, et il en sortira des combattans. » Bientôt cependant Louis XIV s’adoucit, sentant bien de quel prix serait pour lui la neutralité du Piémont pour arriver à la paix générale, et il devint plus facile de s’entendre. Le duc se lança avec d’autant moins de scrupule dans cette campagne diplomatique, que faire la paix après la bataille de la Marsaglia, c’était pitié pour le Piémont épuisé par la guerre, et que d’un autre côté il n’ignorait pas le travail qui se poursuivait partout en Europe, les efforts de tous les alliés pour arriver à une pacification favorable à leurs intérêts.

Une négociation plus active s’ouvrit donc, ou plutôt ce fut un véritable imbroglio diplomatique plein d’artifices et de travestissemens. Tantôt le comte de Borgone, envoyé du duc, se déguisait en paysan pour aller à Pignerol ; tantôt c’était le maréchal de Tessé qui arrivait à Turin sous le costume d’un postillon, et que Victor-Amédée accueillait par ces fières paroles : « Je ne suis pas un aussi grand monarque que le roi votre maître ; mais le caractère de souverain est indélébile et égal chez tous les princes. J’ai toujours respecté le roi ; j’ai été menacé d’oppression, et j’ai voulu lui prouver que je ne le craignais pas. J’ai pu essuyer son dédain, mais en agissant autrement j’aurais perdu son estime. » Pour le duc, il s’agissait toujours de mettre la France hors de Casale et de Pignerol, c’est-à-dire hors du Piémont. Ce fut fait d’une façon singulière pour Casale. Il fut convenu que les alliés se présenteraient devant la place pour l’assiéger, que Victor-Amédée sommerait le commandant français de se rendre, et que celui-ci après une défense honorable capitulerait à condition que les fortifications seraient rasées, et les choses se passèrent ainsi effectivement. Il était plus difficile d’obtenir la cession de Pignerol ; Victor-Amédée y arriva cependant, et à cette condition il s’engagea à négocier la neutralité de l’Italie avec l’empereur, ou à joindre ses armes à celles de la France. L’empereur cria, refusa de souscrire à ces propositions ; mais Victor-Amédée avait réussi, et la neutralité du Piémont, consacrée par le traité de Vigevano, prépara la paix de Ryswick. Comme gage de ce rapprochement, le duc de Bourgogne fut marié avec la fille aînée du duc de Savoie, Marie-Adélaïde, cette jeune princesse spirituelle et piquante qui devait dérider un instant la vieillesse morose de Louis XIV. Voilà comment, après avoir échappé à la France pour aller chercher dans la coalition l’indépendance de sa couronne, Victor-Amédée échappait maintenant aux alliés pour revenir vers la France.