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les Piémontais étaient complètement battus, mit le comble à ces premiers désastres. Victor-Amédée se trouvait avec une armée à demi détruite, avec des alliés lointains dont les secours arrivaient lentement, au milieu d’un pays dévasté, pillé par ses amis comme par ses ennemis ; joignez à cela que les généraux alliés ne s’entendaient pas. La direction de la guerre flottait entre tous les conseils, la défense était énervée par les divisions. « La situation des affaires dans le Piémont ne me plaît pas, » écrivait Guillaume III au grand pensionnaire de Hollande. Victor-Amédée ne se découragea pas cependant. Sous le coup même de la défaite de la Staffarda, il faisait bon visage à la fortune, demandant des hommes, de l’argent et des vivres au pays, qui se levait tout entier à son appel, et en peu de temps il put arrêter les progrès des Français. Je n’ai pas à raconter cette guerre, qui embrassait à la fois la Flandre, le Rhin et l’Italie, qui eut encore pour le Piémont plus d’une journée néfaste, comme celle de la Marsaglia, où s’illustra la vieillesse de Catinat, et qui dura plus de six années. Une particularité de cette lutte, c’est qu’elle s’épuisa d’elle-même et aboutit bientôt à une neutralisation de forces. On continuait à se battre pour arriver à la paix, et la guerre n’était qu’un moyen d’améliorer les conditions de cette paix. Dans le fond, on négociait partout secrètement. « Je désire vivement que les négociations de Dykveld arrivent à bonne fin, écrivait Guillaume III ; la nécessité de la paix devient chaque jour plus grande. » La Hollande se lassait de la guerre ; l’empereur inclinait à traiter. Louis XIV lui-même avait hâte d’en finir, prévoyant déjà une bien autre affaire, la succession d’Espagne. En un mot, chacun tendait au même but par des raisons différentes, et surtout par l’attitude d’une lutte indécise.

Le rôle de Victor-Amédée fut curieux. Il se montra un mâle soldat dans la guerre, sans cesser d’être un rusé diplomate. Il était entré dans la coalition pour émanciper le Piémont de la suprématie française en recouvrant Pignerol et en mettant nos garnisons hors de Casale ; c’était l’intérêt qui le liait à l’Europe, et il ne renonçait pas pour cela à traiter directement avec la France, s’il pouvait obtenir de Louis XIV ce qu’il désirait si ardemment. Pourvu que le but fût atteint, une évolution de plus ne l’effrayait pas. À vrai dire, depuis le premier moment, il n’avait cessé de garder quelque communication avec les généraux de la France ou des envoyés secrets, fidèle à cette vieille politique de la maison de Savoie, qui consistait à « ne pas laisser l’état suspendu à un seul fil, et à s’arranger pour pouvoir toujours choisir entre plusieurs partis. » Naturellement ces mystérieuses négociations suivaient le sort de la guerre. Aux premières ouvertures, peu après la bataille de la Staffarda, les conditions de