Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/700

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous la jalouse tutelle de sa mère, la régente Jeanne-Baptiste. Victor-Amédée Il n’avait que dix-huit ans quand il prit le pouvoir, qu’il fut presque obligé d’enlever de force à sa mère. Louis XIV crut le lier plus sûrement à sa politique en le mariant avec une princesse française, Anne d’Orléans, fille d’Henriette d’Angleterre et petite-fille du malheureux Charles Ier. Les mariages ont servi quelquefois la maison de Savoie, ils ne l’ont jamais liée. Victor-Amédée n’eût point été de sa race, s’il n’eût ressenti violemment le poids de la prépondérance étrangère. Peu après son avènement, il était réduit à signer l’acte d’expulsion des Vaudois, et il n’y consentait qu’avec une répugnance extrême. Dans le secret du cœur, il nourrissait une amertume profonde en se voyant entouré, surveillé et pressé par la France, obligé de rendre compte de ses paroles et de ses actes ; mais il se taisait, attendant une occasion. Cette occasion vint, ce fut la ligue d’Augsbourg, et ici commence cette carrière étrange d’un prince jeté dans toute sorte d’évolutions, passant d’un camp à l’autre, combattant toujours en soldat et négociant en rusé politique.

La ligue d’Augsbourg, qui devint la grande alliance signée à Vienne en 1689, fut, on le sait,’ l’œuvre de Guillaume d’Orange. Sentiment protestant révolté par la révocation de l’édit de Nantes, mécontentement des princes allemands, inimitié de l’Autriche et de l’Espagne, hostilité de la Hollande, tous ces élémens, Guillaume les rassembla en faisceau pour en former une coalition. Il manquait l’Angleterre, et ce fut peut-être une des causes de la révolution de 1688. Si Louis XIV eût pris une offensive hardie et opportune contre la Hollande, il eût empêché la descente en Angleterre ; il n’en fit rien, Guillaume d’Orange devint Guillaume III d’Angleterre, et la grande alliance fut alors formée. Il y avait donc deux camps : dans l’un était Louis XIV, dans l’autre était l’Europe. Entre les deux formidables adversaires, le Piémont ne paraissait être rien ; en réalité, il avait de l’importance, car là, au pied des Alpes, était le nœud de la question le jour où la lutte allait s’engager en Italie. Les alliés ne l’ignoraient pas, ils sentaient bien que c’était un point vulnérable de la France, et ils flattaient le duc de Savoie. Louis XIV même ne pouvait méconnaître le prix de l’alliance du Piémont ; mais dans le sentiment de son omnipotence il croyait le petit duc trop heureux de lui donner des soldats, de suivre sa fortune et de continuer à vivre à l’ombre de sa protection ; il eût été plus prévoyant s’il eût écouté cette parole sensée de Mme de Maintenon, qui lui disait : « Sire, le duc de Savoie sera petit auprès de vous s’il est votre ami ; vous le trouverez grand si vous le laissez se déclarer votre ennemi. » Quant à Victor-Amédée, il suivait d’un œil attentif la marche des choses, allié apparent de Louis XIV et écoutant déjà les propositions qui lui venaient de l’Europe.