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doucement aux rayons du soleil levant, et projetaient leur ombre mobile dans la grande chambre. Un parfum de fleurs et d’herbes récemment fauchées remplissait l’air. Pâle et fatiguée, Rachel semblait demander aux émanations de la campagne et du printemps le retour de ses forces et de sa jeunesse. Elle était plus belle ainsi que dans ses jours d’insouciance et de fraîcheur; elle était belle de cette beauté qui va droit au cœur, lors même qu’on oublierait de l’admirer. Pietro se dit en la voyant : « Et c’est moi qu’elle aime! » Ce mot, c’était la première fois qu’il le prononçait. Il se sentit chanceler, et un nuage sembla s’étendre devant ses yeux. Rassemblant alors ses forces et son courage, il marcha vers Rachel, qui ne s’était pas aperçue de sa présence. Arrivé près d’elle, il prononça son nom d’une voix mal assurée. Elle leva les yeux avec effroi, une rougeur subite couvrit son visage; mais s’efforçant de ne témoigner que de la surprise : — Qu’y a-t-il? dit-elle.

— J’ai besoin de te parler, répondit Pietro après un court silence, et cette fois sans réserve ni dissimulation. Chère Rachel, ne prends pas ce que j’ai à te dire en mauvaise part, écoute-moi. N’importe comment ton secret a été découvert, il l’est. Ne rougis pas, ne nie pas; il y a quelque chose ici, ajouta-t-il en portant la main sur son cœur, qui m’assure que ce qui m’a été dit est vrai. Pourquoi t’en défendrais-tu, puisque j’avoue, moi, que je t’aime, que je t’ai toujours aimée?... Mon père le savait bien, il savait que mon bonheur dépendait de toi; aussi voulait-il l’assurer avant de mourir, et si jusqu’ici j’essayai de déjouer ses généreuses intentions, si je repoussai loin de moi le trésor qui m’était offert, pourquoi l’ai-je fait, si ce n’est parce que je t’aimais, et que je voulais avant tout te voir heureuse? Que fais-tu donc en m’aimant, si ce n’est de me rendre une faible portion de ce grand amour que je t’ai voué depuis que j’existe? Sois généreuse et franche; fais-moi entendre de ta propre bouche cet aveu d’un amour qui m’est dû... Mais non, attends; écoute-moi d’abord jusqu’au bout. Lorsque j’appris que tu m’aimais, j’éprouvai d’abord une joie si grande, que je n’en eusse certes pas éprouvé une semblable en voyant le paradis ouvert devant moi. Si j’avais suivi mon premier mouvement, je serais accouru te dire : « Rachel, tu m’appartiens, car ton cœur est à moi; allons à l’église!... » Mais un moment de réflexion a fait naître en moi d’autres pensées. Hélas! pourquoi ton amour n’est-il point, comme le mien, le seul qui ait jamais pénétré dans ton cœur?... Écoute, Rachel : tu es femme, et tu ne peux comprendre ce qu’il peut entrer de jalousie, de folle jalousie, dans le cœur d’un homme! Comment supporter la pensée qu’il fut un temps peu éloigné où ton cœur appartenait à un autre, où mon amour t’effrayait?... Se-