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pour quelques heures sans vous prévenir; mais je me suis aperçu hier au soir qu’il me manquait certains renseignemens nécessaires à l’arrangement définitif des affaires de Paolo, et j’ai pensé qu’il valait mieux aller les lui demander que de m’en rapporter à la poste. J’ai été à Novare, et j’ai vu Paolo.

Les questions se pressèrent aussitôt. Les fils et les filles du fermier étaient tendrement attachés à leur frère, et voulaient savoir comment il supportait son exil; mais Pietro ne fit que de brèves réponses, qui indiquaient nettement l’intention de ne pas prolonger cette conversation générale. Aussi au bout de quelques instans ne resta-t-il plus dans la grande salle que Mme Stella et Rachel. Pietro prit aussitôt la parole en affectant de se tourner vers sa mère : — Vous avez deviné sans doute, dit-il, quels sont les renseignemens que je suis allé demander à Paolo? Je suis allé lui demander comment il comptait se comporter avec Rachel, et il m’a répondu qu’il était décidé à ne pas se marier, ni avec Rachel, ni avec personne. Il m’a en outre exposé ses motifs, et j’avoue que je les ai trouvés justes et raisonnables.

Rachel avait caché son visage dans ses mains lorsque Pietro avait annoncé la résolution de Paolo, et elle sanglotait tout bas, dans l’amertume de son cœur. Mme Stella se méprit sur la cause de ces larmes, et, serrant la pauvre enfant contre sa poitrine, elle s’écria, non sans indignation : — Est-il possible qu’il ait trompé si cruellement cette enfant, et que toi-même tu te sentes porté à l’approuver!

— Non, ma mère, Paolo n’a trompé personne. C’est Rachel qui nous trompait lorsqu’elle nous affirmait que tout était arrangé entre elle et Paolo, car Paolo ne lui a jamais caché ses intentions, et s’il essayait de nous les cacher à nous, c’était pour complaire à Rachel, qui l’en avait prié. Il m’a montré les lettres de Rachel.

Rachel poussa un cri d’angoisse, mais elle ne prononça pas un seul mot. Mme Stella laissa tomber les bras dont elle l’avait entourée et la regarda fixement, comme un savant philologue regarderait une inscription indéchiffrable. Pietro se promenait en long et en large dans la vaste cuisine, laissant échapper des mots sans suite où se trahissaient tour à tour la douleur, la colère et l’hésitation. — J’ai grand besoin de connaître tes motifs, Rachel, dit-il enfin en s’approchant d’elle, et comme je ne puis attendre aucune lumière de celle qui m’a trompé avec tant de persévérance, j’en suis réduit à former des conjectures, au risque de faire fausse route, et par conséquent de contrarier tes désirs, lorsque je voudrais au contraire m’y conformer. La faute en est à toi seule. Ecoute-moi donc... Tu voulais nous faire croire que ton mariage avec Paolo était chose conclue, tu voulais nous entretenir dans cette erreur jusqu’au moment où ta dot et ton passeport seraient entre tes mains, où tu