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puis, la passant à Mme Stella, il se promena quelque temps en silence et à pas précipités dans la cuisine, où ils étaient rassemblés. Lorsque Mme Stella eut achevé sa lecture, elle rendit la lettre à son fils en s’écriant : — Pour moi, je n’y comprends et n’y comprendrai jamais rien !

— Mais il faut absolument que je comprenne, moi, s’écria Pietro, avant de permettre que Rachel s’éloigne de nous. — Et, se tournant vers sa cousine, qui, les yeux baissés et le visage couvert d’une pâleur livide, se préparait silencieusement à la scène qui l’attendait : — Rachel, ajouta-t-il, que signifie cette lettre? Je t’ai déjà adressé la même question lorsque j’en reçus une première assez semblable à celle-ci, et ma question est restée à peu près sans réponse. Les éclaircissemens que tu ne m’avais pas donnés, je les ai demandés à mon frère, et il me les refuse. Voici sa lettre; il n’y a pas un mot de son mariage avec toi, pas un mot de l’avenir qu’il te réserve! Pourtant je l’avais chargé de se procurer les papiers nécessaires à la célébration de votre mariage, car, il est bon que tu le saches, j’ai résolu d’assister à ton mariage avec Paolo avant de te remettre en ses mains. — Et, voyant la surprise et le découragement qui se peignaient sur le visage de Rachel, il reprit : — Oui, Rachel, c’est moi qui dois te conduire en Piémont et te remettre à ton mari. Ne me fais point d’objection inutile; j’agis comme si tu étais ma sœur, et tu ne quitteras ton frère que pour suivre ton époux. Encore une fois, que signifie le silence de Paolo?

— C’est... que sais-je? Il n’aime pas à parler de ces sortes de choses. Paolo n’est pas un enfant. Que votre conscience soit en repos; lui et moi, nous savons ce que nous faisons. Puisque je suis satisfaite, de quoi vous plaignez-vous?

— Mais Paolo m’assure que vous pouvez tout éclaircir, reprit gravement Pietro. Il y a donc quelque chose que vous me cachez ! N’avez-vous pas de confiance en moi? Et ne vous ai-je pas prouvé qu’aucun sentiment personnel ne m’anime?

Rachel puisait des forces contre Pietro et contre son propre cœur dans ces assurances maladroites et réitérées. Elle répondit au jeune homme qu’elle ne doutait pas de son désintéressement. — Si Paolo, ajouta-t-elle, vous renvoie à moi pour les explications que vous désirez, c’est qu’il ne pense pas que vous puissiez y attacher une telle importance. Je l’ai souvent plaisanté sur sa répugnance à parler de ses sentimens. Il est persuadé que je vous dirai ce qu’il cache, et que vous serez satisfait. Eh bien ! je vous le dis : nous nous connaissons, Paolo et moi, depuis longtemps, nous croyons être dignes l’un de l’autre. Que vous faut-il de plus?

Pietro n’osa pas répondre, tant il craignait de paraître reculer devant son propre sacrifice. Il ne se sentait même pas complète-