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Pietro ainsi que Mme Stella furent frappés du profond abattement que trahissaient le visage et la voix de la pauvre Rachel. Elle aussi s’aperçut de leur étonnement, et elle n’en devint que plus ferme dans sa résolution de leur cacher les intentions de Paolo.

— Quel est ce pays lointain où Paolo compte se rendre? demanda Mme Stella.

— L’Australie, répondit la jeune fille.

— Rachel, dit Pietro, reprenant avec sa cousine, comme à une époque plus heureuse, l’habitude du tutoiement fraternel; Rachel, ce voyage est bien long : ne t’effraie-t-il pas?

— Non, répliqua-t-elle simplement.

Pietro soupira. On ne redoute jamais de suivre celui qu’on aime, se dit-il tristement, et il ajouta en serrant la main de Rachel : — Je comprends ton dévouement, chère sœur, et ne m’en étonne pas; mais j’ai encore le droit de veiller sur toi, et je crains que le climat et la vie qu’on mène en Australie ne soient bien rudes pour ta santé délicate. J’en écrirai à Paolo.

— Que lui écrirez-vous? demanda Rachel avec inquiétude.

— Qu’il réfléchisse avant de choisir ce lieu sauvage pour ta demeure, que tu pourrais y tomber malade; ce serait une grande affliction pour nous que de te savoir si loin, souffrante, hors de portée de recevoir nos soins.

— N’en faites rien! s’écria Rachel; Paolo sait ce qui lui convient et à moi aussi. Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas perdre de temps et de conclure cette affaire au plus tôt. Depuis que mon départ est décidé, je me trouve mal ici... Je voudrais que tout fût fini.

Pietro soupira encore et répondit : — Il sera fait selon ta volonté, Rachel...

Mais Mme Stella, qui n’avait pas pardonné à Rachel sa préférence pour Paolo, reprit avec un accent de reproche : — Tu es bien pressée de nous quitter, Rachel, et je ne me serais pas attendue à tant de hâte de ta part. Puisses-tu ne jamais regretter le toit que tu fuis aujourd’hui avec tant d’impatience!

Mme Stella et Pietro écrivirent le jour même à Paolo, et la réponse embarrassée et glaciale qu’ils reçurent leur causa une pénible surprise. Paolo ne faisait pas la moindre allusion à son mariage avec Rachel; il disait seulement : « Je ne vous parle pas de ma cousine, parce qu’elle me l’a défendu, et s’est réservé expressément de vous tout apprendre. » Il passait ensuite au chapitre des motifs qui l’avaient porté à choisir l’Australie comme terre d’exil de préférence à tout autre lieu du monde. N’était-ce pas le séjour qui convenait à un homme jeune et aventureux, condamné à l’isolement, n’ayant