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était bien forcée de s’avouer que les jours de vrai bonheur étaient passés pour elle sans retour.

Trois semaines environ après le départ de Paolino et les tristes événemens qui l’avaient suivi, M. Stella, qui avait visité ses champs dès le point du jour, rentra à l’heure accoutumée, s’appuyant sur son fils aîné, l’œil fixe, traînant après lui sa jambe raidie, et faisant de vains efforts pour prononcer quelques mots; son bras droit était aussi paralysé, et le médecin, qu’on envoya quérir en toute hâte, déclara que M. Stella avait ressenti une légère atteinte d’apoplexie. Il le fit coucher, le saigna, lui appliqua des sinapismes et des vésicatoires; puis, étant parvenu à dégager un peu sa langue, il assura que le plus fort du mal était passé, et qu’à moins d’une rechute, on pouvait le considérer comme hors de danger.

Il n’y eut pas de rechute, ou du moins aucun des accidens survenus dans la matinée ne se présenta de nouveau ni avec une nouvelle violence. Le bras avait repris quelque mouvement et presque toute sa sensibilité; la parole, quoique lente, était claire et distincte; l’intelligence n’était aucunement troublée, et pourtant vers le milieu de la nuit, pendant que la famille empressée entourait son lit et lui administrait les secours recommandés par le médecin, la respiration du malade s’embarrassa; un nuage sembla s’étendre devant ses yeux, et une teinte livide se répandit sur son visage en même temps que ses traits se tiraient et se creusaient rapidement. — Ma femme, mes enfans! dit alors M. Stella d’une voix affaiblie, mais encore ferme; je crois que mon heure est venue : elle approchait, et je l’ai bien senti, depuis ce malheureux jour! Que la volonté de Dieu soit faite! Ne pleure pas, ma bonne Anna; nous avons vécu heureux, et je te remercie à cette heure et en présence de nos enfans pour ta bonne et fidèle affection. Respectez votre mère, enfans; aimez-la, servez-la, et obéissez-lui comme vous m’avez obéi à moi-même. Qu’elle ne s’aperçoive jamais que celui qui exigeait pour elle le respect et l’obéissance n’est plus, qu’elle ne sente jamais qu’il y a ici d’autre maîtresse qu’elle!... Pietro, tu vas devenir le chef de la famille. Sois le protecteur des autres, des absens comme des présens, et vous (s’adressant à ses autres enfans), considérez désormais votre frère comme investi du pouvoir paternel. Il est mon premier-né, il est mon successeur. C’est ainsi que les choses se passaient jadis, et je désire que cela se pratique toujours ainsi dans ma famille; mais, Pietro, le chef d’une maison ne doit pas vivre seul... J’ai fait pour toi depuis longtemps choix d’une épouse. Si elle ne t’apporte pas une riche dot, je sais qu’elle possède ce que j’ai trouvé dans ta mère et ce qui m’a rendu heureux avec elle : du bon sens et un bon cœur. Approche-toi, Rachel, et donne-moi ta main, que je la mette dans