Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

stupeur et de désespoir qu’il avait prise dans les cachots de Milan. Son corps, jadis si droit et si fort, s’était voûté. Mme Stella paraissait inquiète, mais elle n’osait exprimer son inquiétude à celui qui en était l’objet. Le médecin du village, qu’elle consulta furtivement, répondit à ses questions en termes peu rassurans. — Quel âge a M. Stella? demanda-t-il à la fermière.

— Quel âge? répéta celle-ci; je ne sais pas au juste : de soixante à soixante-dix ans, je suppose.

— L’âge de M. Stella, reprit le docteur, est une terrible maladie, et dont la médecine ne peut triompher.

Il promit cependant de venir voir le fermier comme par hasard, afin d’observer les symptômes qui inquiétaient la pauvre femme.

C’est une chose singulière que l’espèce d’oubli dans lequel les hommes et surtout les femmes des classes inférieures vivent, pendant de longues années, des lois les plus simples et les plus inexorables de notre nature. Quoique déjà sexagénaire, quoique tendrement, je dirais presque passionnément attachée à un homme de plusieurs années plus âgé qu’elle, jamais Mme Stella ne s’était dit que le terme de son bonheur approchait plus rapidement encore que le terme de sa propre vie. Cette pensée si commune que la vieillesse est la plus mortelle et la plus incurable de toutes les maladies ne s’était jamais présentée à son esprit, et maintenant qu’un mot du docteur l’y avait introduite, elle la remplissait de terreur et de chagrin. Était-il possible que le fidèle compagnon de sa vie, celui dont l’existence était confondue avec la sienne, lui fût tout à coup enlevé? — Non, cela est impossible, se répondit tout d’abord la pauvre femme. Dieu est trop bon pour me frapper ainsi ! — Mais d’autres pensées se succédèrent bientôt et la glacèrent d’épouvante. Ne savait-elle pas que la mort attendait tous les fils d’Adam? Combien de vieillards, hélas! combien d’hommes dans la force de l’âge, combien de jeunes gens et d’enfans avait-elle vus descendre dans la tombe ! Et à qui pouvait-elle s’en prendre, si la pensée de cette fatale nécessité lui arrivait en ce moment pour la première fois, comme une menace terrible et inattendue? Dieu lui avait donné plus de bonheur qu’il n’en donne à la plupart des créatures, mais il ne lui avait pas laissé ignorer que tout bonheur ici-bas est fugitif. Pourquoi s’était-elle attachée à ce bonheur comme à un bien impérissable, et y avait-elle enfermé tout son cœur ?

Heureusement pour Mme Stella, le curé vint la voir pendant qu’elle se débattait contre ces désolantes pensées. Celui-ci prêcha, gronda, plaisanta même un peu; il lui parla de la vie future qu’elle semblait avoir oubliée, et de la réunion éternelle. Enfin il ramena quelque sérénité dans cette âme pure et simple ; mais Mme Stella