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Le paysan lombard, celui du moins qui habite la Basse-Lombardie, ne connaît pas son maître et n’a affaire qu’au fermier. Il en est ordinairement maltraité et se tient vis-à-vis de lui dans un état d’hostilité mal déguisée. S’il se plaint (ce qui ne lui arrive pas souvent), le fermier lui répond qu’il le traite comme lui-même est traité par le maître, que s’il ne paie pas son fermage, le maître le chasse et le ruine, qu’il est par conséquent forcé d’être dur à son tour pour le paysan. Celui-ci, qui est très fin et point du tout véridique, n’ajoute pas une foi implicite aux paroles du fermier; mais il aime autant les admettre en partie que de les repousser toutes. Pour parler plus clairement, il en admet juste ce qu’il lui faut pour se créer dans la personne du maître un nouvel objet de haine et de ressentiment, et pas assez pour justifier le fermier et en faire un objet digne de pitié. — Pourquoi, me demandera-t-on peut-être, pourquoi ce besoin de haine de la part du paysan? Parce qu’il est malheureux, grossier, ignorant, et peu chrétien, s’il faut le dire. Il fréquente régulièrement les églises, remplit tous les devoirs du culte et croit implicitement à tous les miracles; mais s’il est faux que l’église catholique interdise à ses fidèles la lecture de l’Evangile, comme le prétendent les protestans, il est malheureusement trop vrai qu’elle ne la recommande pas, et qu’à peine sur cent paysans sachant lire, on en trouvera un qui ait la moindre connaissance de ce code incomparable de morale chrétienne. Je ne crains donc pas d’affirmer que les sentimens chrétiens, l’amour du prochain, le pardon des injures, le respect pour la vérité, sont presque absolument étrangers au cœur de l’habitant pauvre des pays catholiques. Le clergé s’efforce de diriger sa conduite extérieure: cette tâche même n’est pas aisée, et il la remplit assez bien; mais que peut-il contre la dépravation intérieure? La lecture de l’Evangile, qui serait un puissant remède, il se garde bien de la conseiller. La foi du Lombard dans l’infaillibilité de l’église catholique ne pourrait-elle pas s’en trouver ébranlée? Pareille chose est arrivée et arrive encore. Des deux maux, il est naturel que le clergé choisisse celui qui ne doit pas retomber sur lui.

Le paysan de la Basse-Lombardie est d’ordinaire, ai-je dit, l’ennemi naturel de son maître et du fermier qui le surveille. Il réussit parfois à se venger de ce dernier; mais le maître est, par sa position ainsi que par son éloignement, hors de la portée de sa vengeance. Il existe pourtant quelqu’un qui est vis-à-vis du maître à peu près dans la position que le maître occupe vis-à-vis du paysan : c’est le gouvernement. Le gouvernement séquestre les propriétés du maître et le réduit à la pauvreté, il enferme le maître dans le carcere duro et dans le carcere durissimo, il défend au maître de se rendre là où ses affaires l’appellent; en un mot, il se charge de